Deuxième roman pour le poète-romancier Steven Price. L'homme aux deux ombres est un polar psychologique qui sonde l'âme humaine comme peu de romans de genre savent le faire.

Londres, 1885. Le brouillard de la modernité. Dans une histoire aux mille ramifications, le détective américain William Pinkerton et le gentleman cambrioleur Adam Foole recherchent un criminel dangereux. Ni l'un ni l'autre ne sont, toutefois, blancs ou noirs. Bienvenue dans un récit aux 50 000 nuances de gris. 

«La plupart des actions humaines ne sont ni tout à fait bonnes ni tout à fait mauvaises, pense le romancier Steven Price. La plupart de nos existences se déroulent dans des zones de gris. Le travail du romancier est de montrer l'expérience humaine dans toutes ses nuances. Pinkerton est du bon côté de la loi, mais la fin justifie les moyens à ses yeux, ce qui peut devenir dangereux. Adam Foole est du mauvais côté de la loi, mais en même temps, il croit que ses gestes doivent se justifier. La loyauté et l'éthique sont importantes pour lui.»

Dans ce jeu de chat et de souris, Londres devient un personnage important. La Tamise, les égouts de la ville, les coins les plus mal famés ou les plus bourgeois. Le roman fourmille de descriptions fascinantes et d'analyses psychologiques réussies.

«L'ère victorienne est intéressante parce que cela représentait vraiment le début de la modernité. Londres a été la première grande cité cosmopolite avec des gens provenant de partout dans l'Empire britannique qui parlaient une vingtaine de langues différentes. C'était aussi le début des médias de masse et du télégraphe. Ce monde ressemblait au nôtre.»

Nouvelle ère

Le romancier tisse allègrement des liens entre les débuts de l'ère industrielle et l'ère technologique d'aujourd'hui.

«Aussi historique qu'il soit, tout roman est lié à l'époque dans laquelle il est écrit. En écrivant sur l'époque victorienne, je fais part de mes préoccupations à propos de notre époque contemporaine. Ce sur quoi je me concentre dans le récit correspond à mes intérêts du moment.» 

«Il y a toujours des liens entre une certaine période historique et l'époque dans laquelle on vit parce que la nature humaine est généralement constante. Les erreurs commises aujourd'hui ne diffèrent pas beaucoup de celles commises il y a 50 ou 150 ans, même si les contextes ne sont pas les mêmes.»

Poète qui a écrit un roman de plus de 700 pages, Steven Price aime l'histoire, celle de la fin du XIXe siècle surtout. Son premier recueil, Anatomy of Keys, s'inspirait de la vie de Harry Houdini. Traduit chez Alto, son roman L'homme aux deux ombres trouve sa source dans la vie de William Pinkerton, détective de la célèbre agence du même nom. 

«Pour moi, la fiction et la poésie ne sont pas si opposées. Ça vient de la même source, même si la façon de penser est différente. La poésie ressemble plus à la non-fiction ou à l'essai. Ce qui arrive déborde un peu de la page, en retrait du monde. En fiction, tout reste dans la page. Les personnages et leur esprit existent dans un cadre précis, l'auteur n'a pas à donner son opinion.»

Genèse étonnante

Son roman est empreint de mystère, mais sa genèse a été tout aussi... surprenante!

«J'étais en train d'écrire un autre roman, et je l'avais presque terminé, quand j'ai commencé celui-ci. Un jour, j'ai écrit un paragraphe sans rapport avec le livre que j'écrivais. Ça parlait d'un détective, grand, fort, qui sympathise avec les criminels, même s'il se situe du bon côté de la loi. C'était Pinkerton.»

L'histoire de sa propre famille l'aura aidé à trouver des repères narratifs et historiques. 

«L'histoire de mon oncle Bud, le frère de mon grand-père, me fascinait. Il était très secret, mais c'était un homme élégant et un très bon conteur. Son père, Albert Price, avait fui la justice britannique pour aboutir à Victoria, en Colombie-Britannique, et fonder une agence de sécurité. Il est passé du mauvais au bon côté de la loi. La vie de William Pinkerton ressemblait à la sienne.»

Steven Price avoue qu'il connaissait peu l'Angleterre victorienne quand il a commencé la rédaction. «En écrivant, je faisais la recherche et changeais constamment des trucs. C'était stimulant parce que j'apprenais tout en racontant cette histoire.»

La complexité des personnages est ici racontée par d'habiles flash-back qui nous amènent de la guerre de Sécession américaine aux mines de diamant sud-africaines. 

«C'est un livre sur la mémoire et l'oubli et comment survivre malgré le passé qui nous hante. Au coeur du livre, Pinkerton essaie de comprendre qui est arrivé à son père dans une spirale l'entraînant vers les bas-fonds. Ça traite de l'histoire d'amour ou de son absence dans une famille, entre parents et enfants. C'est un polar, je crois, qui ne traite pas tant de crimes que du besoin de faire son deuil, de survivre à la perte de quelqu'un.»

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L'homme aux deux ombres. Steven Price. Alto. 723 pages.