Tête chercheuse de la poésie depuis près de 40 ans, Denise Desautels est toujours en quête du dire. Sa colère devant la condition humaine ne l'empêche pas d'avoir trouvé un morceau de ciel avec son plus récent livre, D'où surgit parfois un bras d'horizon.

Dans le tableau noir que présente Denise Desautels, c'est le bleu des yeux qui triomphe. Ses yeux ont 20 ans, son écriture aussi. Elle peut se lire comme un vade-mecum du vivre, malgré la mort qui plane. Outre sa tendance naturelle vers le côté sombre de l'âme, la poète nage davantage dans le bleu désormais. C'est notable sur la couverture de son nouveau livre, D'où surgit parfois un bras d'horizon.

En près de 40 ans d'écriture, Denise Desautels a fouillé toutes les nuances du noir, un peu comme le fait le grand Pierre Soulages en peinture. Sa dernière offrande démontre sa volonté de transcender la douleur.

«Il s'agit de ne pas laisser l'émotion à l'état brut. Trouver le bel amalgame entre émotion et pensée. Tout le travail d'écriture, c'est de mettre en forme, ouvrir, regarder, inventorier pour, après, soigner, voir, comprendre. On travaille, au moins, pour ne pas agrandir la douleur, mais la conscience. Être plus humain. Je rêve d'une belle humanité.»

L'image qu'elle a choisie pour son livre est tirée d'une toile de la peintre américaine Dana Schutz, Swimming, Smoking, Crying, qu'on a pu voir au MAC il y a deux ans. Elle représente la lutte intime de l'artiste contre l'obscurité.

«Ma nature profonde m'attire vers le fond, mais j'écris pour rester à la surface, pour que ce bras, qui ne prétend pas atteindre quelque chose de si haut, fasse un bras d'horizon. C'est le bras droit qu'on voit sur l'image, mais le bras gauche, on ne le voit pas et je ne le nomme pas. Le bras gauche vrille. C'est celui qui se bat dans les souterrains.»

Inventaires

Traversé de poésie, le livre n'est pas tout à fait un recueil ni tout à fait un essai. Ce sont quatre inventaires écrits entre 2012 et 2016, retravaillés et regroupés pour la première fois depuis leur publication ailleurs. Pas inventaires comme dans bilans, mais comme explorations et regards vers l'avant.

«Dans l'inventaire, il y a des archives, mais aussi toutes sortes de choses pour activer le futur. Même si je ne rêve pas plein soleil, il y a un petit peu de lumière. Juste l'éclaircie, c'est déjà beaucoup.»

«Dans ces inventaires, je pars toujours de choses très intimes en essayant de les recréer pour que le lecteur puisse y retrouver sa propre intimité. Un peu comme dans un roman où l'on s'identifie aux personnages. Je travaille l'intime en recherchant ce qu'il y a de plus intimement humain. Et, enfin, ce qui m'apparaît comme salvateur, l'art.»

Celle qui perçoit partout L'angle noir de la joie a décrit toutes les couleurs du désespoir, mais de plus en plus de raisons, aussi, pour ne pas se noyer. La lettre à son fils dans le précédent Sans toi, je n'aurais pas regardé si haut l'avait amenée ailleurs. Mais Denise Desautels ne refait jamais le même livre.

«Après Sans toi..., j'avais besoin d'une petite pause. J'étais envahie par plein de sentiments contradictoires. C'est un livre qui a soulevé des violences, des colères en moi. Quand je vois le monde, je suis en colère. Mais écrire la colère reste à mes yeux insuffisant. J'ai envie d'y faire circuler de la pensée.» 

«Qu'est-ce qu'on a accompli si je me mets à crier pendant 100 pages? demande-t-elle. Même si l'écriture ne règle rien, il faut permettre de penser mieux, plus large. J'essaie d'intégrer le cri au son. Que le cri ne soit pas seul, qu'il soit celui d'un moment, d'une nuit, d'un jour.»

Guérison

Les images, les sons, les phrases peuvent tout de même «permettre temporairement au réel d'être soigné». Un mot qu'elle emprunte à Soigner, aimer, de Ouanessa Younsi, poète et psychiatre. 

«Ça me ramène à l'image de Dana Schutz. La grosse tête, c'est à la fois le monde et ma tête pleine de violences et de douleurs. Cette image est d'une richesse fabuleuse avec des couleurs éclatantes. Je trouve magnifique cette lutte contre la vague.»

Puisque «l'on vit dans une douleur plus évidente en ce moment», Denise Desautels continuera de se battre. On serait tenté de qualifier son travail de «recherche fondamentale», si on voit la poésie comme la science du tout-dire. 

«J'ai souvent cité Peter Handke: "Tant de choses ressemblent à ce qu'on cherche, tant qu'on cherche quelque chose."»

Sa quête se confond d'ailleurs avec celle d'une autre jeune artiste, Françoise Sullivan. Ensemble, elles préparent un livre dans le cadre du 70e anniversaire de Refus global en 2018.

«Elle est resplendissante. Avoir cette tête-là et cette énergie à 92 ans, il faut la voir dans son atelier. C'est absolument magnifique. C'est inspirant, vieillir comme ça. Françoise est dynamisante.»

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D'où surgit parfois un bras d'horizon. Denise Desautels. Le Noroît. 182 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LE NOROÎT

D'où surgit parfois un bras d'horizon