Louis-Bernard Robitaille parle de sa fascination pour l'Europe de l'Est du temps du rideau de fer comme d'une «légère obsession» qu'il n'avait abordée jusque-là, par la bande, que dans son roman Voyage à Buenos Aires. Pour «tourner la page», l'ex-correspondant de La Presse à Paris, où il vit toujours, a décidé de raconter dans le livre Bouffées d'ostalgie sa découverte de l'Allemagne de l'Est, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Russie et la Géorgie en 1976 et 1977. À sa manière, qui n'a jamais exclu le trait d'humour et le sens de la formule.

À l'époque, Robitaille était déjà installé à Paris depuis quelques années. Armé de son appareil Nikon, il a visité l'outre-mur muni d'un visa de touriste et s'est intégré à un groupe de journalistes en voyage de ski organisé pour aller fouiner du côté de Moscou et de la Géorgie.

«Déjà quelqu'un qui voyageait seul en URSS, c'était rarissime. Et puis, c'était surveillé», rappelle Robitaille, rencontré dans un café où il a ses habitudes quand il est de passage à Montréal.

Ses «bouffées d'ostalgie» ne tiennent pas tant de l'ouvrage de spécialiste - il y en a eu des tonnes, convient Robitaille  - que du «journal d'un jeune homme naïf derrière le rideau de fer, un monde incroyablement exotique et à part», dont il s'étonne qu'on en ait presque perdu la trace de nos jours.

«Au début du bouquin, je cite la serveuse de pizzéria de Magadan qui dit à Nicolas Werth, le spécialiste de l'URSS: "C'est quoi ce Goulag dont vous parlez ? Un groupe rock ?" Mais elle est dans la capitale du Goulag, 25 ans après.»

Aujourd'hui, estime Robitaille, ce qu'a vécu l'Europe de l'Est de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la chute du mur de Berlin est «comme un cauchemar, un mensonge invraisemblable qu'on n'a pas cru à l'époque et dont on a même oublié qu'il a été dit. Il y a des gens qui disent: "Voyez, ç'a disparu paisiblement, donc c'était pas si mal que ça." Dans le fond, Orwell l'a dit, il suffit de proférer beaucoup, beaucoup un mensonge et que ce soit bien organisé. C'était un projet utopiste et ils leur disaient, un peu comme les Martiens dans Mars Attacks! de Tim Burton: "Ne courez pas, nous sommes vos amis..."»

La paranoïa ambiante

Robitaille a découvert des sociétés résignées et repliées sur elles-mêmes à des degrés divers, dans lesquelles ses interlocuteurs se savaient surveillés. La paranoïa ambiante n'épargnait surtout pas le jeune journaliste.

«Même 24 heures de garde à vue, ça ne m'aurait pas plu particulièrement, lance-t-il aujourd'hui. Au retour à Paris, j'ai eu droit à une magnifique lettre ouverte de l'ambassadeur de Tchécoslovaquie après la publication de mes articles dans Le quotidien de Paris. C'est sûr que je n'ai jamais eu le côté desperado...»

Son livre est beaucoup plus long que les reportages qu'il avait publiés dans La Presse à l'époque, souligne-t-il. Robitaille a une bonne mémoire et s'il a réussi à retrouver la plupart de ses articles, il n'avait pas de carnets de notes auxquels se référer.

«Les notes? J'étais un peu parano et je ne mettais même pas les noms avec les numéros de téléphone correspondants!»

Quarante ans ont passé et Louis-Bernard Robitaille constate que son point de vue sur l'époque était à peine différent de celui qu'il a aujourd'hui.

«Ce n'était pas exactement pareil, nuance-t-il. D'abord, aujourd'hui, on connaît la fin de l'histoire. Mon sentiment en était surtout un de perplexité: certains ne vivaient pas trop mal là-dedans, mais c'est sûr que je ne trouvais pas ça bien. En même temps, des gens qui avaient été des intellectuels communistes et qui avaient lu de mes papiers me disaient: "Ah, c'est bien. Tu ne dis pas que c'est l'enfer."»

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Bouffées d'ostalgie - Fragments d'un continent perdu. Louis-Bernard Robitaille. Éditions Noir sur Blanc. 144 pages.

image fournie par les Éditions Noir sur Blanc

Bouffées d'ostalgie - Fragments d'un continent perdu, de Louis-Bernard Robitaille