Ancien reporter de guerre et directeur de l'agence de presse CAPA, Pascal Manoukian s'est tourné vers le roman il y a quelques années. Dans Les échoués, son premier livre, publié en 2015, il raconte le dur chemin de trois clandestins venus en France au début des années 90.

Ce que tient ta main droite t'appartient, qui vient de sortir, est une terrifiante plongée dans la folie de Daech. L'auteur y décrit les rouages de la radicalisation du point de vue de Karim, dont l'amoureuse est morte dans un attentat sur une terrasse parisienne.

Pour comprendre les motivations du kamikaze, Aurélien, et se venger, il refera son parcours jusqu'en Syrie. Entretien avec un écrivain qui donne une histoire aux victimes de la fureur du monde.

Ce que tient ta main droite t'appartient est un livre très documenté. Jusqu'où êtes-vous allé pour refaire le chemin de Karim?

J'ai couvert des conflits comme journaliste de 1975 à 1995. L'expérience du passage des frontières, des bombardements, je l'ai vécue. J'ai assez bien suivi la montée du religieux et du fondamentalisme en Afghanistan pendant 10 ans, puis Daech à travers les journalistes et les reportages qu'ils fabriquaient pour l'agence. J'ai aussi fait comme Karim, je suis allé sur le Net avec un profil qui m'a permis de rencontrer des recruteurs, des repentis, des gens qui cherchaient... Ce qu'a fait Karim en ligne, je l'ai fait dans la réalité.

Ça a l'air facile...

Rencontrer et se faire recruter, c'est très simple. Partir n'est pas compliqué non plus. Le plus compliqué, c'est d'en sortir. C'est comme un piège à guêpes.

Dans le fond, les gens qui partent sont convaincus, mais ils ne savent pas vraiment dans quoi ils s'embarquent?

Je crois qu'il y a très peu de radicalisés purs et durs. Bien sûr, il y en a qui croient au chemin qu'ils proposent, c'est-à-dire la révolution par l'islam. Mais la plupart y vont pour des raisons diverses: il y a des aventuriers, des paumés, d'autres qui pensent qu'ils s'en vont en mission humanitaire parce qu'ils sont choqués par les images qu'ils voient et qui se font avoir. Le problème est qu'une fois qu'ils sont à l'intérieur, Daech s'organise pour les compromettre. C'est un classique chez les enfants soldats: une fois qu'on a appâté, on compromet; après, c'est difficile de revenir face à la famille, avec la police qui vous recherche.

La technologie est très importante dans le livre, et on comprend en vous lisant que Daech dispose d'immenses moyens.

Je suis un homme d'images, et ce qui m'a intéressé, c'est la modernité de l'appareil de propagande, autant dans la réalisation que dans le matériel. Certains films ont été clairement tournés avec cinq caméras, on utilise des ralentis, des flash-back, il y a du découpage, du montage... Ils détournent tous les codes de la pop culture, que ce soit la pub, la téléréalité, le cinéma. La décapitation de James Foley, c'est un clin d'oeil à la finale du film Seven.

C'est comme ça qu'est venue l'idée du livre?

La toute première idée est venue en 2012, lors d'un attentat contre un collège de Toulouse faite par un type qui s'appelle Mohamed Merah. Une de ses victimes était un militaire français qui s'appelait Mohamed aussi. Les deux avaient le même âge, ils avaient grandi en banlieue, et je me suis demandé ce qui pouvait justifier ce grand écart. 

Vous avez trouvé la réponse?

Non. Je pense que chacun a ses propres raisons. Ce qui m'intéresse, c'est la vision à 360 degrés. Presque tous les personnages du livre sont des victimes. Ça dépend d'où vous regardez le monde. Si vous êtes bombardé depuis quatre ans à Alep et que personne ne fait rien, c'est une autre vision du monde.

Pourquoi avoir choisi de faire de la fiction?

L'écriture m'a toujours intéressé et je m'étais promis de m'y mettre à 60 ans. En écrivant Les échoués, sur ce thème qui est difficile parce que les migrants font peur, j'ai compris que la littérature avait un pouvoir plus fort que le journalisme. C'est un acte entier: on emporte ce livre et cette histoire chez soi, et ces personnages que je fais vivre entre les pages deviennent plus familiers. Les gens sont souvent plus touchés et ça les fait plus réfléchir qu'un simple article.

Dans Les échoués, vous mettez d'ailleurs des visages sur les migrants, qu'on voit en général en groupe.

L'idée était de mettre des noms, des histoires, des sentiments sur ces images. Après, on est plus touché. Quand je regarde la photo de ma grand-mère arménienne lors de son arrivée en France en 1927, elle m'aurait fait peur. Elle était sale et maigre. Les migrants sont rarement à leur avantage, mais ils ont eu des vies avant, ils ont été obligés d'oublier tout ce qu'ils étaient pour ce voyage. J'ai vu beaucoup de gens qui s'échouent et je sais qu'on ne quitte pas son pays par plaisir.

Intégrisme religieux, montée de la droite, crise des migrants... Êtes-vous plutôt pessimiste, ou vous croyez à l'humanité?

Je suis plutôt optimiste dans la vie. Je suis petit-fils d'une rescapée du génocide arménien, je n'ai pas le droit d'être pessimiste. C'est pour ça que j'écris sur ces choses, que je fais ce métier. Je pense qu'il faut sans cesse témoigner, documenter, rappeler. À 60 ans, j'écris sur les choses importantes qui peuvent apporter une petite pierre.

Vos deux livres comportent des scènes très violentes, qui sont difficiles à lire. Vous ne voulez pas vous mettre la tête dans le sable?

Dans Les échoués, je voulais que les gens se retrouvent dans les chaussures des migrants. Sur Daech, je voulais montrer l'enfer que c'est de vivre en Syrie. Cette folie, cet asile de fous à ciel ouvert. Personne ne s'imagine, surtout les gens qui partent, qu'il va mettre les pieds dans un enfer pareil. J'essaie de raconter au plus près ce qu'est la réalité. J'ai une écriture visuelle parce que j'ai passé ma vie avec un oeil dans le viseur, mais parfois, il y a des scènes aussi violentes aux infos. C'est aussi très violent de voir des femmes et des enfants agglutinés à des barbelés. 

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Ce que tient ta main droite t'appartient. Pascal Manoukian. Don Quichotte. 288 pages.

Image fournie par Don Quichotte

Ce que tient ta main droite d'appartient, de Pascal Manoukian