Au pays de Claude Jutra nous arrive un romancier suisse, Oscar Lalo, qui traite des abus d'enfants avec toute la dignité du monde. En lice pour le prix Québec-France Marie-Claire-Blais 2018, son très beau livre Les contes défaits essaie de comprendre plutôt que de condamner.

Il était une fois un artiste qui publie un premier roman fort touchant. Il avait été avocat déjà, cinéaste et chanteur aussi. Il avait toujours écrit, mais jamais comme cela. Oscar Lalo souhaitait parler de l'enfance défaite, gâchée par les adultes. Mais de l'enfance qui continue aussi en recomposant le casse-tête de la mémoire. Délicatement.

«C'est vraiment ça, un roman délicat. Ça m'a bluffé d'être dans la collection Pointillé chez Belfond, parce que c'est comme si je l'avais écrit sur une ligne pointillée. J'ai fait attention à chaque mot. Il ne fallait pas faire de pathos, délayer ou se faire plaisir. Il me semblait qu'il fallait être digne. Il ne fallait pas trahir.»

«En tant qu'écrivain, je ne devais pas me laisser submerger par le parcours de ce petit garçon. Sinon, on passe dans une autre sorte de littérature.»

Le récit est écrit au «je», mais n'a rien de biographique. Oscar Lalo a puisé l'inspiration dans son expérience d'avocat lors de causes d'enfants victimes d'abus. Des enfants qui ont malheureusement compris que la caresse peut être pire que la claque.

«Être dans l'incompréhension d'un message d'un adulte quand on est un enfant, ça nous est tous arrivé. Là où ça se complique dans le livre, c'est que tous les signifiants s'opposent. La femme donnait des claques et l'homme des caresses qui laissaient "plus de traces". Allez vous débrouiller avec ça quand vous êtes un enfant. C'est pour ça que ça s'appelle Les contes défaits. Le propre d'un conte, c'est de construire un enfant en s'attachant à un manichéisme excessif des personnages très bons ou très méchants. Ici, cet enfant de 2 ans se trouve confronté à un méchant qui veut faire croire qu'il est bon.»

Enfance trahie

Dans une langue belle, inventive, le romancier décrit un monde faux, celui des colonies de vacances où les cartes postales ne racontent pas la trahison vécue par les enfants sur le terrain. Une réalité complexe, en eaux troubles.

«L'enfant se dit: "C'est pas grave si mes parents me disent que c'est pas grave." Et l'autre qui lui dit qu'il est son meilleur ami et que s'il en parle, il ne sera plus son meilleur ami. L'enfant est pris entre des injonctions contradictoires. Il y a des moments de solitude intenses dans ces cas-là.» 

«Mais ce n'est pas un livre sur la pédophilie. C'est un livre sur la complexité d'aborder sa propre mémoire, sur l'enfance et la résilience.»

Oscar Lalo a beaucoup vécu et écouté avant de commettre un roman. Il attendait d'être zen, comme on dit.

«Ce livre est tellement sorti à l'os de moi. Je n'avais pas le droit de trahir cette histoire. Il y a quelque chose d'extrêmement bon dans mon destin, que ça arrive aussi tard parce que j'écris depuis très longtemps. Ce livre s'est à la fois dégueulé, mais livré dans une maîtrise absolue. C'est l'essence de la méditation, être hyper attentif, mais dans le lâcher-prise. Ce livre, c'est une responsabilité énorme dans une ouverture totale.»

Refus de condamner

Toute la force du livre est là, dans le refus de condamner ou de régler des comptes. Assumer le traumatisme et voir comment on peut continuer. Le roman est un équilibriste qui marche sur l'indicible.

«On a tous des traumas d'enfance. Comment l'articule-t-on? Comment a-t-on accès à son enfance, quand il y a toutes ces zones de la pré-enfance qui sont par essence scientifiques, inaccessibles? Ce sont des souvenirs extrêmement flous.»

«C'était toute la difficulté de cette entreprise, ajoute-t-il, parler de quelque chose qu'on ne comprend pas soi-même. Ça devait passer par un avocat qui est là pour accueillir les victimes et mettre des mots sur les traumas des gens. Ça permet de commencer à faire son deuil. Il faut soi-même trouver les moyens d'être en paix avec soi-même. C'est jamais dans l'autre qu'on trouve la solution, mais toujours en soi.»

____________________________________________________________________________

Les contes défaits. Oscar Lalo. Belfond, 217 pages.

Image fournie par Belfond

Les contes défaits, d'Oscar Lalo