Journaliste et critique de cinéma depuis plus de 15 ans, Aleksi K. Lepage signe un premier roman «à prendre au 12e degré» qui met en scène, avec humour et irrévérence, un personnage égocentrique et un objet volant non identifié. Rencontre du troisième type avec l'auteur de ce qui pourrait bien être la parodie la plus réussie de l'année.

Entre journal intime et science-fiction

Journal d'un psychotronique, «c'est un trip d'écriture», dit Aleksi K. Lepage. «Ce petit roman est la fusion de deux textes qui me tombaient sur les nerfs et que je n'arrivais pas à finir.» D'un côté, une parodie de science-fiction qui traînait au fond d'un tiroir. De l'autre, un journal intime entamé il y a 20 ans, alors qu'il en avait 23 ou 24 - inspiration à l'origine de son personnage arrogant. «Dans un journal intime, on est libre: on fait ce qu'on veut, on a le droit de chier sur tout, de tout démolir, on n'a aucune culpabilité, on s'amuse et on fait sortir le pire de soi. Je me suis dit que ce serait drôle de saboter les deux... le journal et la nouvelle de science-fiction», dit-il, sourire aux lèvres, tout en espérant que le roman soit autant un trip de lecture.

Autosabotage

Sans jamais s'apitoyer sur son sort, le personnage livre un cruel combat contre sa conscience, «une guerre d'ego contre du vide», dit Aleksi K. Lepage. Il est sans le sou et constamment en manque de tout. «Il sort de désintox, il se coupe de l'internet, mais c'est pénible, alors il est tout le temps frustré. Et au moment où il veut entreprendre une démarche personnelle, tout d'un coup arrive quelque chose d'exceptionnel qui sabote encore une fois son parcours intérieur.» Râlant contre son inutilité, son besoin de boire, le journal télévisé ou ses voisins bruyants, le narrateur noircit les pages de son journal devenu un «défouloir égocentrique et monomaniaque», écrit-il. Il pourrait assez facilement avoir une vie normale, explique Lepage, mais il s'impose comme un jeu cette mortification qui fait de lui un paria social.

Métaphore montréalaise

Cette chose exceptionnelle qui vient saboter son voyage introspectif, c'est un énorme objet flottant au-dessus du Stade olympique, apparu inopinément dans le ciel de Montréal. La grosse masse ronde et brune trouble l'équilibre de la ville et retient l'attention de tout le monde, y compris celle des journalistes, qui multiplient les reportages sur l'intrigant ovni. «En écrivant, je pensais à Montréal, aux travaux, à quelque chose de bloqué, dit Lepage. Montréal, ça ne bouge pas. On a l'impression que beaucoup d'argent est investi pour donner l'impression qu'il y a une vie dans les quartiers. Mais le Plateau est dénaturé, le Quartier des spectacles est un gâchis, ils ont démoli la Main... tout ça pour attirer les touristes. Il y a quelque chose d'artificiel dans toute cette construction.»

Normal...

Ce qu'Aleksi K. Lepage voudrait par-dessus tout, c'est que le livre laisse son lecteur «avec une drôle d'impression». On pourrait dire que c'est mission accomplie. Un peu à son image, son personnage ne croit pas incarner «l'homme de la rue lambda». Et la normalité, selon lui? Un mystère, répond Lepage. «Mes parents étaient hippies, j'ai connu les communes. Moi, ce sont les gens normaux qui m'effraient, les maisons en banlieue...» Le centre-ville demeure son terrain de jeu favori - malgré le sentiment de vivre par moments «dans une fausse ville qui n'est pas si cool que ça» - et son alter ego romanesque se complaît tout autant que lui à errer dans les corridors du Montréal souterrain, pour s'imprégner «d'humaine nullité» et jouer aux «aristocrates dépossédés».

... Ou psychotronique?

Mordu de cinéma, Lepage s'est amusé dès le titre de son roman à rappeler un vieux film «mauvais» des années 80 pour illustrer la nostalgie ectopique dont se met à souffrir son personnage. Psychotronique, c'est un mot «vide et démodé», explique-t-il, qui était très en vogue jusque dans les années 90 et qui ne veut plus rien dire. Un peu comme le narrateur, un être «déphasé» et submergé par le flot d'informations qui l'assaille, torturé par la culpabilité d'être resté lui-même. «Tout le monde a bêtement et docilement évolué», écrit-il. Et lui se retrouve simplement «pas saoul et sans le sou» - une volontaire infortune qui ne peut qu'inciter au rire par sa loufoquerie.

Aleksi K. Lepage présentera son roman Journal d'un psychotronique à la librairie Gallimard le mercredi 15 février à 17 h 30.

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Journal d'un psychotronique. Aleksi K. Lepage. Éditions Noir sur Blanc. 96 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS NOIR SUR BLANC/COLLECTION NOTABILIA

Journal d'un psychotronique, d'Aleksi K. Lepage