Daniel Pennac renoue avec la famille Malaussène dans un récit rocambolesque d'enlèvement à l'ère des réseaux sociaux et de la mondialisation. Entrevue avec un écrivain qui aime toujours autant nous raconter des histoires.

Dix-huit ans, c'est long. C'est le temps qui s'est écoulé depuis le dernier roman des Malaussène, Aux fruits de la passion, publié en 1999. Ces retrouvailles, Daniel Pennac ne les avait pas anticipées - «Je n'avais pas pensé à une suite durant toutes ces années», assure-t-il -, mais il les savoure avec plaisir.

«J'avais envie de retrouver l'écriture des Malaussène, explique l'écrivain en entrevue avec La Presse. Je me suis offert ces retrouvailles. C'est un peu comme plonger dans une rivière de jeunesse. Je voulais voir si j'avais perdu le ton, les métaphores. J'étais content de les retrouver.»

La vie a changé

Dans ce premier tome, on retrouve donc le personnage fétiche de Daniel Pennac, Benjamin, chef du clan Malaussène, toujours employé d'une maison d'édition dirigée par la reine Zabo. La mode étant à l'autofiction, il doit veiller sur l'auteur chouchou de la maison qui, caché dans le Vercors, écrit la suite d'un livre de révélations qui lui a valu la colère de sa famille. En parallèle, une enquête est déclenchée pour retrouver un richissime chef d'entreprise enlevé après avoir liquidé son entreprise et empoché une solide prime de séparation. 

Le cas Malaussène est le huitième titre de la série, mais l'auteur s'est assuré qu'un nouveau lecteur s'y retrouve en élaborant un glossaire pour situer chacun des personnages. «Du point de vue du ton, du style, ce livre existe en lui-même, sans avoir lu les précédents», affirme Pennac. (On vous conseille tout de même d'aller lire les précédents romans, ne fût-ce que pour le plaisir.)

La nouvelle génération des Malaussène est au coeur de ce roman qui se déroule sur fond de mondialisation, d'anticapitalisme, de hip-hop et de réseaux sociaux. Une époque qui suscite chez le narrateur plusieurs commentaires décapants. 

Daniel Pennac assure toutefois qu'il n'est pas là pour faire la leçon. «Je refuse de jouer l'acrimonieux qui dit : "Dans mon temps, c'était mieux"», assure-t-il. 

«Je raconte une histoire, et cette histoire rencontre du réel. Les lecteurs se disent: "Ah! Il veut dire ceci ou cela !" Mais c'est votre grande liberté créatrice qui prête du sens à tout ça. Moi, je n'écris pas un essai dissimulé, je ne suis pas un lanceur de messages.»

Alors que l'action des précédents romans se déroulait surtout dans le quartier Belleville, à Paris, avant que le 20arrondissement ne devienne un lieu branché, Le cas Malaussène se déplace dans le Vercors. Out, Belleville? «J'ai maintenant deux pôles dans ma vie: Belleville et le Vercors, où je passe plusieurs mois par année, explique Daniel Pennac. Mais j'habite toujours dans le 20e et le quartier occupera une plus grande place dans le deuxième livre.»

Dans ce paysage rude et montagneux du sud-est de la France, la nature et les grands espaces permettent de prendre une distance avec Paris et son rythme effréné de métropole occidentale. «Donner à l'ennui sa raison d'être et de durer», écrit Pennac.

Encore une fois, difficile de ne pas faire un lien avec l'incapacité des gens, les jeunes en particulier, à se débrancher de leurs écrans, à se couper du bruit de fond incessant pour laisser leur esprit vagabonder, un luxe que la vie à la campagne permet davantage.

Encore une fois, l'écrivain réfute notre analyse. «La question des écrans est étroitement dépendante de la relation que les adultes entretiennent eux-mêmes avec la jeunesse, observe-t-il. Je ne connais pas beaucoup de jeunes gens qui sacrifieraient une famille harmonieuse dans laquelle il fait bon vivre et rire ensemble à des écrans. On ne peut pas faire porter toute la responsabilité sur l'évolution technologique. Il y a des choix, des libertés, des façons d'élever des enfants et des adolescents, des façons d'établir des rapports avec eux qui font qu'ils fréquentent plus ou moins le cyberespace.»

Raconter une bonne histoire

En 1992, Daniel Pennac publiait Comme un roman, un essai déculpabilisant avec sa charte des droits du lecteur qui nous donnait la permission de commencer un livre par le milieu ou de l'abandonner avant la fin.

Le cas Malaussène n'est pas un essai, mais l'auteur y livre tout de même un superbe plaidoyer en faveur de la fiction et de l'imaginaire. À une époque où l'autofiction et la téléréalité occupent une place de choix, Daniel Pennac réitère sa foi dans le roman, l'invention, la fantaisie. 

«Il y a 30 ans, quand j'ai commencé les Malaussène, il était pratiquement interdit d'écrire des romans, dit-il. C'était la France structuraliste. Il fallait être crétin pour écrire et lire des romans, c'était ça le climat. Moi, il y a 30 ans, j'ai décidé de déposer mes valises référentielles et de faire ce que j'avais envie de faire: raconter des histoires et faire de la littérature populaire. Que j'y mette du sens par-dessus le marché, ça ne regarde que moi. Tant mieux si les lecteurs s'en aperçoivent, mais tant pis s'ils ne s'en aperçoivent pas. Je fais ce que j'ai envie de faire, indépendamment de l'air du temps.»

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Le cas Malaussène, tome 1 - Ils m'ont menti. Daniel Pennac. Éditions Gallimard. En librairie.

Image fournie par les Éditions Gallimard

Le cas Malaussène, tome 1 - Ils m'ont menti, de Daniel Pennac