Après une carrière de journaliste politique à Radio-Canada, Daniel Lessard s'est tourné vers le roman avec cinq oeuvres historiques campées dans sa Beauce natale à l'époque de ses grands-parents. Il signe maintenant un premier roman policier politique, Péril sur le fleuve. La Presse s'est entretenue avec lui.

Pourquoi écrire un thriller politique?

Avec quatre ou cinq romans historiques, j'avais l'impression d'avoir fait le tour. Les histoires finissent par se ressembler. Je voulais mettre à profit mes connaissances politiques et je lis beaucoup ce genre de thrillers. Je ne voulais faire ni du documentaire ni du journalisme politique. J'ai mis du temps à passer du métier de journalisme à celui d'écrivain. Mon seul souci est que ce soit toujours plausible.

Pourquoi l'écoterrorisme?

C'est un phénomène intéressant, mais pas très connu. Il y a deux ans, en attendant l'avion, je lisais un magazine français où Jacques Attali parlait des nouvelles formes de terrorisme, l'écoterrorisme, le terrorisme naval. Je connais un peu cette région du fleuve [où est campé le roman Péril sur le fleuve] parce que j'ai commencé ma carrière à Montmagny. Le peu de respect que nous avons pour l'environnement me dérange beaucoup. Les politiciens sont plus préoccupés par l'économie, avec raison, mais l'environnement n'est la priorité d'aucun gouvernement.

Certains en Europe s'inquiètent de la sympathie de la gauche envers les islamistes, née en partie de leur opposition à Israël et aux États-Unis. Est-ce que ça a été une inspiration pour votre roman?

J'avoue que ce qui me préoccupait, c'est que le mouvement écologiste est assez fort verbalement, mais dans les faits assez timide. Il y a des manifs contre les pipelines, mais ça va rarement au-delà de ça. C'est beau, la théorie, mais à un moment donné, il faut passer aux actes. Les gens qui veulent de vrais changements savent qu'ils ne viendront pas de la classe politique. Je pense que Justin Trudeau a vraiment une bonne volonté d'aller plus loin dans le domaine environnemental. La taxe sur le carbone est un premier pas timide, mais en même temps, il approuve un énorme projet de gaz de schiste en Colombie-Britannique [une usine de liquéfaction de méthane alimentée par le gaz de schiste].

Avez-vous couvert le FLQ?

Je suis arrivé à CKAC en 1970, dans les jours précédant la mort de Pierre Laporte. J'ai vécu tout ce qui a suivi, la libération de James Cross. CKAC était la boîte aux lettres du FLQ. Les communiqués m'ont inspiré, m'ont frappé. Tout ça est arrivé très vite. Il y a eu la Loi sur les mesures de guerre. Un collègue, Louis Fournier, a été interrogé pendant plusieurs heures par la police. J'ai fait du direct, même si j'avais très peu d'expérience comme animateur. Au départ, j'étais disk jockey, je m'intéressais plus à la musique. À Montmagny, j'étais présentateur de musique. Après le FLQ, au Québec, il n'y a jamais eu autre chose de très gros, et c'est tant mieux.

Pensez-vous que l'état du Saint-Laurent empire?

L'acidification du Saint-Laurent est évidente, plusieurs études le démontrent. Il se réchauffe aussi. On a vu un poisson-lune [à Trois-Pistoles en 2015], un phoque à la hauteur de Trois-Rivières. Des carpes asiatiques des Grands Lacs ont été pêchées il y a trois jours sous le pont de Québec. Il y a aussi les invasions de méduses. Autre chose: l'observation des oiseaux est l'une de mes passions depuis 30 ans. Il y a plein d'espèces d'oiseaux qu'on ne voit à peu près plus, ou jamais, en Gaspésie ou même autour de chez moi. À Ottawa, près de la rivière des Outaouais, je voyais auparavant des espèces de passereaux retourner au printemps que je ne vois plus.

Vous mettez encore une fois en scène une héroïne.

Oui, dans mes romans historiques aussi, ça a toujours été des femmes. Quand on m'a posé la question, j'ai réfléchi. D'abord, de plus en plus, en journalisme et en environnement, les femmes prennent plus de place, et c'est tant mieux. Pour remonter plus loin, sans jouer au psychiatre, ma mère avait huit enfants qui ont tous fait des études supérieures, sauf moi, qui ai quitté le cours classique après un an pour faire de la radio. Mes deux grands-mères ont aussi été importantes. Ma grand-mère Lessard était la femme d'un maire de village qui a été 35 ans préfet et juge de paix, en plus d'être l'un des principaux organisateurs de Duplessis. C'était un dictateur, mais elle lui disait: «Écoute, Méo, il y a des gens qui ont besoin de manger, tu vas t'en occuper aussi.» La première femme à avoir été maire en Beauce est une de mes tantes, Marie-Marthe Pépin, à Saint-Benjamin. J'ai donc eu deux ou trois femmes très fortes dans ma vie. Le monde se porte beaucoup mieux quand les femmes dirigent. Je n'ai jamais été un fan absolu de Thatcher, mais elle savait où elle allait et elle a fait des choses. Même chose pour Merkel en Allemagne.

Avez-vous un autre projet?

J'ai encore une idée de roman historique, mais on m'a beaucoup reproché de faire du «curé bashing», et c'est justement une histoire de curé épouvantable. J'ai une autre idée écologiste, avec des autochtones et de la politique. C'est assez vague, mais je pense m'y mettre sérieusement. Ça se passera probablement près de la rivière des Outaouais.

Certains théologiens pensent qu'au Québec, au lieu de transmettre la foi d'une génération à une autre, on transmet la haine de l'Église. Est-ce que cela joue un rôle pour votre prédilection pour les histoires négatives sur les curés?

Je ne crois pas. À mon époque, le curé était très souvent la seule personne qui avait été à l'école assez longtemps pour lire et comprendre un article de journal. Ceci dit, mes parents ont été à l'école jusqu'en neuvième année, mon grand-père aussi. Mais beaucoup de gens qui recevaient le journal devaient se le faire expliquer. Alors le curé était un personnage tout-puissant, très souvent intolérant. Il y en avait de très bons, ils ont contribué énormément à l'éducation, sauf que c'étaient des gens qui contrôlaient tout, tout, tout. À la fin de ma première année, un prêtre m'a dit: «Tu vas devenir prêtre, toi aussi.» Si on se faisait dire que ses trois filles devaient devenir religieuses, ce n'était pas négociable. Alors quand je suis sorti du cours classique, je n'ai plus jamais remis les pieds à l'église. Aujourd'hui, dans ma famille, on n'y va plus que pour les mariages et les funérailles. Mais je ne pense pas qu'au Québec, aujourd'hui, il y a du ressentiment envers l'Église.

Un historien franco-ontarien, Michael Gauvreau, a publié il y a quelques années un livre appelé The Catholic Origins of Quebec's Quiet Revolution. Que pensez-vous de cette thèse?

Dans la sauce Duplessis, il y avait le nationalisme. C'est lui qui a rapatrié le régime des impôts du Québec. Il s'est battu contre Ottawa. Il a fait beaucoup de choses, toute la colonisation et le développement, qui étaient la principale préoccupation de mon grand-père, trouver des emplois pour tout le monde. On partait de loin. Mais il y avait plein de trucs pas mal moins lumineux.

Les auteurs de polars préférés de Daniel Lessard

> Deon Meyer: «Au-delà des scènes horribles et de son imagination épeurante, il y a toujours un fond social. Au début, c'est la fin de l'apartheid et le passage à la démocratie en Afrique du Sud. Il y a toujours des personnalités politiques qui se rapprochent énormément de la réalité.»

> Jo Nesbø: «J'ai beaucoup aimé les premiers romans que j'ai lus, mais dernièrement, je trouve qu'ils se ressemblent.» Le plus récent livre traduit en français du romancier norvégien est Soleil de nuit.

> Henning Mankell: «Je l'aimais beaucoup, mais il vient malheureusement de mourir.» Ce romancier suédois était notamment connu pour son héros, le détective Kurt Wallander.

> Martin Michaud: L'un des écrivains québécois de romans policiers qu'aime bien Daniel Lessard. Son plus récent polar, paru l'an dernier, est Quand j'étais Théodore Seaborn. Il a publié quatre livres dans la série Victor Lessard.

> Louise Penny: «C'est toujours un plaisir de voir qu'elle a fait un autre roman.» Cette Ontarienne, qui publie en anglais, met en scène ses romans policiers dans les Cantons de l'Est, où elle vit. Son plus récent roman traduit en français est La nature de la bête, et elle vient de publier en anglais A Great Reckoning.

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Péril sur le fleuve. Daniel Lessard. Éditions Pierre Tisseyre, 217 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS PIERRE TISSEYRE

Péril sur le fleuve, de Daniel Lessard