Six ans après l'exceptionnel Constellation du Lynx, Louis Hamelin est de retour en grande forme avec Autour d'Éva. En décrivant la «bataille du Kaganoma», lutte sans merci entre écologistes et promoteurs autour d'un énorme projet d'ensemble résidentiel sur les bords d'un lac presque sauvage de l'Abitibi au début des années 2000, il signe une fable écologiste et politique aussi brillante que jouissive qui n'épargne personne.

«Même si, personnellement, je suis du côté des conservationnistes, quand on écrit un roman, les deux camps doivent exister avec une égale vraisemblance», explique Louis Hamelin. Le résultat est un roman trépidant et caustique, porté par une écriture flamboyante et peuplé de personnages particulièrement riches. C'est à travers eux que nous avons parlé du livre avec Louis Hamelin.

Dan Dubois

Croisement de Roy Dupuis et de Richard Desjardins, le personnage de Dan Dubois est un comédien et cinéaste engagé très connu. Riverain du lac Kaganoma, il entre en guerre contre le projet d'ensemble résidentiel en fondant le groupe Autour, dont il est le président intransigeant et manipulateur. «Comme romancier, j'éprouve un certain plaisir à égratigner les figures trop positives de héros engagés. Je l'avais fait dans La constellation du Lynx avec les felquistes.» Pour Louis Hamelin, l'artiste engagé est justement le héros romantique moderne par excellence, et Dan Dubois lui permet de faire une réflexion sur les périls de la célébrité. «Il est connu, les gens l'aiment, il a des tentations que d'autres n'ont pas. Son côté un peu brutal, c'est aussi sa forme d'intégrité.» Ainsi, Louis Hamelin décrit un Dan Dubois convaincu et convaincant mais pas vraiment sympathique, qui abuse de son pouvoir à l'intérieur de son camp et qui n'est pas à l'abri des dérives idéologiques. «Quand on milite, on ne peut pas s'enfarger dans les nuances si on veut que le message porte.»

Lionel Viger

Louis Hamelin décrit le personnage de Lionel Viger, dit «le lion de l'Abitibi», comme un «Elvis Gratton intelligent». Cet homme d'affaires hyperactif est à l'origine du projet d'ensemble résidentiel autour du lac Kaganoma. «Beaucoup de choses passent par lui. Le rapport entre l'argent et la politique, qui est fondamental au Québec, c'est très présent dans son parcours. Viger est inspiré d'un homme d'affaires de la Mauricie. Ce bonhomme, c'est comme trop beau comme personnage, tellement je l'ai converti sans trop changer sa bio!» Lionel Viger, qui se voit comme un poète, est un magouilleur qui pense que tout peut s'acheter, mais dont le parcours est fascinant. «Pour un auteur, c'est un plus grand défi de rendre la vérité d'un personnage comme celui-là. Il est arrogant, mais il se perçoit comme un bienfaiteur, car il va amener 200 millions US dans sa région! C'est une bibitte, mais c'est aussi le côté sombre de la force.»

Éva Sauvé

La Éva du titre est de retour dans sa région natale après 10 ans d'exil. Elle s'installe dans le chalet de son père situé au bord du Kaganoma avec l'intention de faire le vide. Mais la controverse autour du projet d'ensemble résidentiel et sa relation amoureuse chaotique avec Dan Dubois rendront cette année pas mal agitée. «Ce livre, c'est l'histoire d'une désillusion. Au début, son admiration pour Dan et pour la cause est sans partage. Mais elle constate que c'est de moins en moins pur.» Si Autour d'Éva est une fable politique, ajoute Louis Hamelin, ce n'est jamais au détriment de l'histoire d'Éva, qu'il voit un peu comme la soeur qu'il aurait pu avoir. «Au début, j'avais quelques appréhensions d'avoir un personnage féminin principal. Mais comme je ne m'aventure pas trop dans les terrains de la psychologie, j'ai comme évité certains écueils...»

Stan Sauvé

Stan Sauvé est le père d'Éva, rédacteur en chef et seul journaliste du journal local de Maldoror, Le Colon. S'il est fasciné par la bataille entre Dubois et Sauvé, il n'arrive pas à prendre position. «C'est un riverain du Kaganoma, mais en même temps, tous les annonceurs du journal sont pour le projet! Mais si Autour d'Éva raconte une histoire d'amour qui vire mal, c'est aussi une belle histoire père-fille car elle se rapprochera de son père. C'est un personnage fragile, Stan, une espèce de raté sympathique. Mais peut-être que finalement, c'est lui qui va vivre le trip de sa fille à sa place.»

Bum Derome

Député et ami de toujours de Lionel Viger, auquel il doit en partie sa carrière politique, Bum Derome sait qu'il est toujours utile d'avoir de bons amis riches. Mais Louis Hamelin n'a pas voulu en faire l'archétype du politicien véreux. «Il est un peu corrompu, c'est sûr, mais je crois que la semence de la corruption fait partie de chacun de nous. Par contre, à cette époque où il est de bon ton de mépriser les politiciens, je n'exclus pas que chez Bum Derome, comme chez plein d'autres politiciens, il y ait une part d'idéalisme, en tout cas de volonté de servir. Tout en restant très critique du pouvoir et de la manière dont il s'exerce sous les pressions économiques, j'ai voulu faire de Bum un personnage nuancé à sa manière.»

La nature

Animaux qui chassent, meurent et copulent, forêt au silence chargé, lac aux eaux changeantes, la «permanence de la nature» est la toile de fond de ce roman où la forêt finit même par reprendre ses droits. «Ces passages naturalistes entre les chapitres, ça relativise l'action. Les personnages sont ramenés à leur dimension: ils ne sont que des bestioles qui s'agitent.» On a aussi l'impression que Louis Hamelin n'est jamais aussi écrivain que lorsqu'il décrit un paysage, alors que ses phrases se déploient majestueusement. «C'est peut-être ce qui stimule le plus mon écriture», admet Louis Hamelin, qui dit être moins dans la recherche de l'effet littéraire qu'à l'époque de La rage, son premier roman. Comme s'il avait harnaché un peu son style. «Tu dois mettre ton écriture au service de l'histoire à raconter. J'irais même jusqu'à parler d'efficacité narrative... sans trop exagérer! En même temps, ce n'est pas minimaliste. J'ai besoin d'en mettre. J'aime les phrases qui claquent, les couleurs et les sons des mots.»

Le nord

Louis Hamelin a vécu cinq ans en Abitibi au début des années 2000. L'écrivain aime le Nord et le décrit magnifiquement bien, que ce soit celui du Québec ou celui de la Finlande. «Depuis les années 80, on parle beaucoup de notre américanité, et Dieu sait que je suis associé à ça. Mais on est des nordiques aussi, pas des cowboys du Far West, et je pense que toute une veine de la meilleure littérature québécoise actuelle passe par cette décentralisation. J'admire chez les écrivains américains cette capacité qu'ils ont de faire vivre la moindre petite ville du Midwest comme si elle était plus universelle que Sept-Îles. C'est une littérature qui occupe le territoire, qui le fait exister. Notre rôle est de faire aussi exister Sept-Îles dans l'imaginaire littéraire.»

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Autour d'Éva. Louis Hamelin. Boréal. 420 pages.

Image fournie par les éditions du Boréal

Autour d'Éva, de Louis Hamelin