Cinq ans après Le cas Sneijder, Jean-Paul Dubois n'a rien perdu ni de sa mélancolie ni de son élégance. Dans La succession, l'auteur d'Une vie française raconte l'histoire d'un homme qui estime n'avoir vécu que quatre vraies années de bonheur, alors qu'il était joueur professionnel de pelote basque à Miami.

Mais la mort de son père médecin ramène Paul Katrakilis en France, où le poids du passé se fait trop lourd à supporter. Discussion avec un auteur sensible au temps qui passe, et pour qui l'écriture est loin d'être le centre de l'univers.

Pourquoi la pelote basque?

J'ai passé toutes mes vacances d'enfance au Pays basque et j'ai vu beaucoup de parties de pelote basque avec ma mère. C'est un sport d'une beauté absolument étonnante, esthétique, dénué de violence. La compétition y est douce. J'ai eu envie que le personnage soit un protagoniste de ce sport qui s'appelle la cesta punta aux États-Unis, et qui me plaît moins.

Pour quelle raison sa version américaine vous plaît-elle moins?

La pelote basque a été un peu dénaturée en y adjoignant des paris, c'est devenu comparable à des courses de chevaux, dans le même esprit.

Ce sport, il vous sert à dire autre chose dans le livre?

Il raconte aussi ce qu'est l'Amérique, la violence sociale, la dureté des rapports, l'obligation de rentabiliser chaque chose. Pratiquement rien n'y est gratuit, à commencer par le sport, le jeu.

Comme grand reporter, vous avez parcouru les États-Unis pendant 20 ans. Ce pays a-t-il changé?

Rien de fondamental n'a changé, même avec les deux mandats d'Obama. Et tout ce qu'on voit pendant ces élections, c'est déraisonnable, quoi! Mais ça ne nécessite même pas de commentaire tellement c'est grossier, énorme et grotesque.

La succession est un livre sur la famille et le poids des héritages. Vous vouliez faire un livre sur l'impossibilité de se défaire de l'héritage familial?

L'héritage, au sens le plus large du terme, c'est la seule chose dont on ne peut pas se débarrasser. C'est celui qu'on reçoit à la naissance et qu'on doit porter jusqu'à la mort. Ce transfert constant d'une génération à l'autre, je trouve ça d'une lourdeur... Mais il y a deux choses avec la famille: il y a tout ce dont elle vous accable, et tout ce qu'elle vous apporte et que vous allez perdre. Je trouve ça très cruel. Il n'y a rien de très original là-dedans, mais je voulais faire un livre qui parle de cette double peine, le chagrin de la perte et du fardeau de l'histoire.

Paul a toujours eu une image négative de son père. Mais à sa mort, il découvre des facettes de lui qu'il ne connaissait pas. On ne connaît jamais vraiment nos proches?

On ne connaît qu'une pellicule de nos parents, de nos familles. Je l'ai expérimenté dans ma vie avec mon père, j'ai découvert un tas de choses après sa mort, qui sont troublantes, mais je pense qu'un enfant ne connaît jamais ses parents, il est celui qui les connaît le moins bien. Les gens qu'on connaît le mieux sont nos compagnons, nos compagnes, car on les a choisis et l'engagement est plus total.

Paul affirme qu'il n'a été heureux que pendant quatre ans. Il y a une espèce de mélancolie qui traverse la majorité de vos livres. Il y a une élégance là-dedans?

Ce n'est pas une élégance, c'est assez pragmatique. Tristement pragmatique, car la perte et le vieillissement sont constants. Ce sont des moments fugaces, cette prise de conscience n'est pas permanente heureusement, mais c'est ça que je trouve terriblement triste... Il me semble que ça doit traverser chaque histoire, car une histoire n'est jamais immobile. Quand vous racontez 10-15 ans de la vie de quelqu'un, vous traversez quelque chose, et il y a nécessairement des pertes.

Les nombreuses digressions font partie du charme de vos romans. C'est ainsi que votre esprit fonctionne?

Oui. J'adore apprendre et savoir comment marchent les choses, c'est pour ça qu'il y a souvent des détails techniques dans mes livres. J'ai une jubilation à comprendre, c'est un vrai bonheur, et j'aime le retransmettre. Comme cette histoire du dernier quagga, qui est une histoire vraie, c'est formidable de pouvoir raconter ça! Dans la vie, il faut apprendre des trucs. Des choses qui n'ont aucune importance, mais on s'en fout! Ça ne change pas la face du monde, mais ça donne des petits frissons de bonheur.

C'est vrai que vous écrivez vos livres en un mois?

Oui, mais je travaille comme un forcené, 14-15 heures par jour minimum. Je me suis rendu compte qu'en me donnant un début et une fin, en m'obligeant à écrire 240 pages en 31 jours, je me crée les conditions mentales d'une obligation de résultat. Ce n'est pas du dilettantisme, seulement une méthode de travail comme une autre. Une routine.

Votre précédent roman, Le cas Sneijder, est sorti il y a cinq ans. Qu'avez-vous fait pendant les quatre ans et onze mois où vous n'avez pas écrit?

Rien. Je suis heureux, je vis avec une de vos compatriotes. Je fais beaucoup de choses, j'essaie d'être heureux. Je répare, je passe ma vie à réparer. Je répare ma maison, un vieux bateau, je m'occupe de mes chiens, c'est le vrai vide du type qui a la chance d'avoir du temps. Ma recherche, mon but dans la vie, a toujours été d'acheter du temps.

Vous n'écrivez pas du tout, vous ne faites pas de recherche?

Non, zéro, rien. J'écris quand je dois écrire, et quand je n'écris pas, je fais d'autres métiers. Je sais que vous ne pouvez pas l'imaginer, mais dans ma tête, c'est comme ça. Pendant ces quatre ans, je n'ai jamais pensé que je faisais des livres.

Alors si on vous demande quelle place prend l'écriture dans votre vie, vous répondez quoi?

Je ne sais pas, c'est comme si vous me demandiez quelle place prend votre voiture dans votre vie. Ça fait partie de ma vie, mais ce n'est pas ma vie. Ce sont des moments, et quand ce moment est fini, je suis autre chose. J'ai des jardins exubérants, alors ces temps-ci, par exemple, je suis jardinier. La vie est faite de moments, et le livre est un moment. Je le fais vraiment à fond, au mieux de mes possibilités, je m'applique. Mais quand c'est fini, j'ai fini.

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La succession. Jean-Paul Dubois. Éditions de l'Olivier, 234 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’OLIVIER

La succession, de Jean-Paul Dubois

Jean-Paul Dubois en quatre obsessions

L'oeuvre de Jean-Paul Dubois est constituée de nombreux thèmes récurrents. Nous lui avons demandé d'en commenter quatre.

LA MAISON

Dans La succession, le narrateur retourne vivre dans la maison de son enfance, devenue trop grande pour lui. Et on se rappelle avec joie Vous plaisantez, monsieur Tanner, qui racontait des rénos pour le moins compliquées. «C'est la maison que j'habite, précise Jean-Paul Dubois. J'ai grandi et toujours vécu dans cette maison qui appartient à ma famille depuis plus d'un siècle. On peut dire en fait que je ne suis jamais déménagé...» Inutile de dire que pour lui, la maison est synonyme de mémoire. «Tout rappelle la vie passée, future, faite de douleur, de souvenirs... C'est une mémoire constante. Par ailleurs, la maison est aussi quelque chose qui vous protège, où on ressent une forme d'apaisement.»

LE CHIEN

Le protagoniste du Cas Sneijder quitte le monde des hommes pour devenir promeneur de chiens. Celui de La succession sauve un chien de la noyade et l'adopte. Pourquoi les chiens? «Parce que je vis avec eux. J'ai très peu d'imagination, vous savez, ce qu'il y a dans mes livres se retrouve dans ma vie. Mon chien s'appelle Watson [NDLR: comme dans le livre] et je l'ai recueilli au bord d'une rivière quand il n'avait que quelques mois. Les chiens, je les aime. Je vis avec eux, je leur parle et ils me parlent. Et je suis sérieux!»

LE PRÉNOM PAUL

De Paul Blick dans Une vie française à Paul Stern dans Les accommodements raisonnables, dans pratiquement tous les livres de Jean-Paul Dubois, le protagoniste et narrateur s'appelle Paul. Pourquoi? «C'est ma voix. Quand j'écris un livre, j'imagine que je tourne un film, avec des plans cinématographiques et tout, car j'adore le cinéma. Je fais des plans dans mon esprit, et c'est ma voix qui raconte cette histoire. C'est pour ça que je m'identifie à elle: c'est elle qui raconte l'histoire, et ça fait un livre. C'est un processus curieux.»

SUICIDE

La dépression, la mélancolie et le spleen sont présents dans plusieurs romans de Jean-Paul Dubois. Dans La succession, le narrateur se demande même si le gène du suicide existe, puisque tous les membres de sa famille sont passés à l'acte. C'est un thème douloureux pour l'auteur, qui estime que le suicide est «le seul moment de votre vie où vous pouvez décider quelque chose», dit-il en faisant référence au suicide assisté. «Mais on ne peut pas en parler trop, c'est trop violent, personnel, c'est le choix d'un instant, ce qu'on emploie, de quelle manière on le fait», dit-il, estimant qu'on devrait y réfléchir davantage en se débarrassant du religieux et de ces «conneries de morale». Il réussit malgré tout, dans La succession, à en parler en faisant sourire. «La mort, la seule manière de l'envisager raisonnablement, c'est de l'envisager avec le sourire.»