Dans Soyez imprudents les enfants, Véronique Ovaldé poursuit son oeuvre obsédée par la famille -réelle ou inventée -, les histoires qu'on se raconte et la quête de soi. Entrevue avec une écrivaine éprise de liberté.

C'est avec bonheur qu'on retrouve la plume inventive de Véronique Ovaldé, dont le dernier roman, La grâce des brigands, datait de 2013. Cette fois, elle nous revient avec un roman d'apprentissage au titre on ne peut plus subversif en 2016: Soyez imprudents les enfants.

On y fait la connaissance d'Atanasia, jeune fille entière qui entreprend d'enquêter sur un peintre disparu dont une des toiles, admirée au musée de Bilbao, l'a complètement séduite. Ceux qui fréquentent l'écrivaine depuis longtemps - Et mon coeur transparent, Ce que je sais de Vera Candida... - connaissent ses univers fantaisistes, son amour des personnages féminins forts, ses sagas familiales parfois loufoques. L'écrivaine pratique un style à l'opposé de l'autofiction. Son imagination est foisonnante, pour ne pas dire débridée.

Or ce roman, nous confie-t-elle en entrevue, est le plus personnel de tout ce qu'elle a écrit jusqu'ici. «Je suis à chaque page», raconte Véronique Ovaldé, jointe au téléphone en Corse, où elle passe ses vacances. 

«Pour la première fois, je tenais des carnets durant l'écriture de mon roman. J'y couchais mes souvenirs, mes rêves, mes réflexions... Le monde dans lequel on vit alimente ce texte.»

Et c'est vrai qu'à la lecture, on sent vibrer entre les lignes l'actualité et les questionnements qui préoccupent les Français en cette époque marquée par les nombreux attentats terroristes.

«Il y a une résonance avec ce qui se passe en France, c'est certain, confirme l'écrivaine. Élever trois enfants en France aujourd'hui, c'est difficile. On a envie de les protéger. Or il faut réactiver l'imprudence quand on est enfant, d'où le titre... Dans ce roman, je reviens sur mon obsession du devoir qu'on a de disposer de soi-même, de la nécessité de l'imprudence. Il faut s'affranchir et mettre à distance la peur qui nous empêche d'avancer.»

Vies d'hommes

Jusqu'ici, les histoires de Véronique Ovaldé racontaient des lignées de femmes fortes, jamais victimes malgré les épreuves et les drames. Cette fois, c'est la vie des hommes que la narratrice, la jeune Atanasia, découvre. Leurs secrets, leurs rêves, leurs ambitions déçues.

«Oui, ça m'intéressait d'aller du côté des hommes, affirme Véronique Ovaldé. Au XVIe siècle, c'était surtout les hommes qui avaient la possibilité de se frotter au monde, pas les femmes. J'avais envie de m'intéresser à ceux qui ont voulu changer le monde, à la manière dont la réalité les a rattrapés. C'est cette toute jeune fille [Atanasia, double assumé de l'auteure] qui recevra tous leurs récits.»

Le poids du passé

Dans ses romans, Véronique Ovaldé a toujours aimé inventer des lieux que ses lecteurs cherchent en vain sur Google. Ce roman fait exception puisque l'écrivaine y parle cette fois de sa ville, Paris, là où elle est née et où elle habite. 

«Je voulais décrire le côté mystérieux et sauvage de la ville. Paris est une ville avec laquelle j'entretiens une relation particulière. J'y ai toujours vécu comme si j'y étais exilée.»

«Aujourd'hui j'habite le 18e, en bas de Montmartre, dit-elle. C'est très agréable, c'est comme un village. Mais même si je ne vis aucune difficulté, je sais comment cette ville peut être agressive pour certains. Ça me saute au visage chaque fois que je reviens de voyage.»

Autre rencontre entre la fiction et la réalité: les références au passé colonialiste de la France, à l'explorateur Brazza, un pacifiste qui a contribué à développer l'Afrique centrale. «On revient aux thèmes de la domination, de la servitude volontaire et involontaire, souligne Véronique Ovaldé. La colonisation est quelque chose de tellement fondamental en France et dans les relations des Français à l'Afrique. Il existe une telle culpabilité, c'est très complexe. L'histoire de Brazza nous montre qu'explorer sans conquérir est impossible, qu'il y a toujours ce terrifiant désir de dominer et de détruire. C'était important pour moi d'en parler.»

Création et maternité

Impossible de quitter Véronique Ovaldé sans soulever la question de la conciliation création-maternité. D'autant que notre entretien est interrompu à quelques reprises par la voix mutine de sa plus jeune, âgée de 5 ans, qui demande à sa maman si elle peut «planter des graines dans le jardin».

«La conciliation création-maternité est une question complexe qu'on pose surtout aux femmes, note l'écrivaine qui est aussi éditrice chez Points. C'est une question intéressante: comment réussir à faire tout ce que je dois faire quand l'écriture vous laisse peu de tranquillité d'esprit. Or il me faut des moments doux avec mes enfants.»

Véronique Ovaldé avoue qu'elle est mère, elle n'est jamais insouciante. «Toutes les écrivaines se posent la question: vais-je avoir des enfants? Plusieurs décident que non car elles estiment qu'il n'est pas possible de faire les deux. Quand j'étais enceinte de la dernière, je me suis demandé qui, dans les femmes écrivaines que je connais, avait trois enfants. Il n'y en a pas beaucoup. Trouver du temps est très difficile et c'est plus problématique pour les femmes que pour les hommes. Or les enfants viennent avec une occupation mentale qui est difficilement compatible avec le travail créatif. J'espère que je n'ai ni trop mal fait, ni sacrifié mon travail.»

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Soyez imprudents les enfants. Véronique Ovaldé. Flammarion. 352 pages. En librairie aujourd'hui.

IMAGE FOURNIE PAR FLAMMARION

Soyez imprudents les enfants, de Véronique Ovaldé