Après le tragique et encensé Charlotte, qui racontait l'histoire d'une jeune peintre juive assassinée à Auschwitz, l'auteur français David Foenkinos renoue avec la veine légère. Le mystère Henri Pick est un polar littéraire qui suit la trace d'un livre découvert par une éditrice dans une bibliothèque consacrée aux manuscrits refusés, et qui aurait été écrit par un pizzaiolo breton mort deux ans plus tôt. Mais en est-il vraiment l'auteur? Démarre alors une enquête aux multiples ramifications, dans laquelle il en profite pour rendre hommage aux acteurs du milieu du livre et à la littérature. Entretien avec un auteur comblé.

Avez-vous l'impression que les gens s'étaient ennuyés de leur Foenkinos léger?

L'accueil a été très bon depuis la sortie du livre en avril. Les gens ont été un peu surpris que je revienne avec quelque chose de léger après Charlotte. Mais je suis tombé sur l'histoire de la bibliothèque des livres refusés dans le livre L'avortement de l'écrivain américain Richard Brautigan, ensuite j'ai découvert qu'il en existait vraiment une à Vancouver, et c'est parti comme ça. Je me suis bien amusé en écrivant cette nouvelle comédie. Et c'est la première fois que j'installe une enquête dans un roman.

Mais ce n'est pas une enquête très serrée non plus!

C'est un peu l'arnaque, et c'est excitant à écrire. J'ai déjà eu beaucoup de retours de lecteurs et je dirais que 90 % des gens ne voient pas venir la fin.

Il y a quand même des indices, non?

Oui, mais ça dépend de la sensibilité de chacun. J'avais envie de créer des fausses pistes qui permettent de raconter qu'un roman peut avoir des répercussions sur la vie de beaucoup de gens, de faire le récit d'un manuscrit qui bouleverse des vies. J'avais envie que ce soit un livre qui parle aussi de la littérature, du pouvoir de la littérature et des mots.

C'est pour ça que vous suivez plusieurs personnages, alors que vous nous avez habitués à des romans à un ou deux personnages?

C'est très juste. C'est mon premier livre avec autant de personnages importants, même si on suit davantage l'éditrice et le journaliste qui mène l'enquête. C'est un livre choral, on pourrait dire. Si on fait un film, ce sera beaucoup de travail de casting!

Vous l'avez déjà en tête?

Non, mais il y a déjà un projet de film qui se prépare et dans lequel je ne suis pas impliqué. Avec mon frère, on a décidé de ne pas refaire de film à partir d'un de mes romans. Si tout va bien, on en fera un ensemble l'an prochain, mais ce sera à partir d'un scénario original. Il est déjà écrit, normalement nous devrions tourner en janvier.

Pourquoi avoir utilisé les vrais noms d'acteurs du milieu?

C'était important que le livre se passe dans un cadre réaliste, pour qu'on croie que cette histoire peut fonctionner. Beaucoup de gens ont dit que j'étais cynique ou négatif, mais ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu faire! Quand je parle du patron d'Albin Michel qui a l'idée de publier un roman avec un bandeau «Ce livre a été refusé 32 fois», c'est juste une idée marrante! J'ai vraiment écrit ce livre avec bienveillance.

En vous lisant, on pense un peu à L'ombre du vent, de Carlos Ruiz Zafón, avec sa bibliothèque des livres oubliés. Il y a une peur des auteurs de ne pas être reconnus à leur juste valeur?

Je l'ai lu après avoir écrit Pick. Derrière cette bibliothèque à Barcelone, il y a quand même l'idée que le livre est quelque chose de mystérieux, alors que je me rapproche plus de celle qu'on peut écrire même si on ne cherche pas la lumière. Je trouve ça poétique qu'un texte dorme quelque part sans qu'il soit lu.

Dans votre livre, le personnage de Frédéric est justement un jeune auteur qui a publié un premier roman dans l'anonymat. Lui, il cherche la lumière, non?

On pense qu'être publié est une consécration, mais 95 % des livres le sont dans l'indifférence totale. J'ai connu jusqu'à La délicatesse des publications assez confidentielles. Mais contrairement à Frédéric, je n'avais pas d'amertume car l'écriture m'avait accompagné toute ma vie.

On se demande ce qui est pire: ne pas être publié, ou être publié dans l'indifférence...

C'est le deuxième. On peut toujours rêver tant qu'on n'est pas publié. Mais une fois qu'on est publié, c'est difficile de faire semblant. Dans mon livre, le roman découvert, qui s'intitule Les dernières heures d'une histoire d'amour, connaît du succès lorsque les gens entendent parler de l'histoire derrière.

Est-ce qu'on peut s'intéresser aujourd'hui à un roman sans connaître le roman du roman?

Oui, bien sûr, je l'ai vécu moi-même avec La délicatesse, qui s'est vendu sans que les gens sachent qui j'étais! Mais mon livre parle davantage de l'autre version des choses. Les grands romans qui traversent les décennies ont souvent une histoire, un contexte. On aime ça, le roman du roman. Par exemple, City on Fire, toute la presse n'a parlé que d'une chose : qu'il a battu le record du livre le plus cher. Il restera toujours le livre à 2 millions ! C'est la beauté absolue de l'histoire qui supplante le livre.

Un bibliothécaire, un journaliste, une éditrice, un représentant, vous mettez en scène plusieurs acteurs de la chaîne du livre. Ils vous touchent, ces gens?

Ah oui, c'est ma vie d'être avec eux. C'est un livre d'amoureux de la littérature finalement. Charlotte, au début, les gens disaient: "C'est quoi ce truc?" S'il n'y avait pas eu des libraires, des représentants qui se sont battus, il n'aurait jamais vécu.

Quand vous repensez à Charlotte, avez-vous l'impression que c'est pour faire ce livre que vous êtes devenu écrivain?

Oui. C'est le livre que j'avais toujours voulu écrire. Ce que j'ai vécu, les expos, les plaques commémoratives, et là il sort en folio, ça me rend vraiment heureux. Je suis content de l'accueil pour Henri Pick, mais ça n'égalera jamais ce qui s'est passé avec Charlotte.

Vous auriez pu décider d'arrêter d'écrire après?

J'ai pensé que j'allais arrêter, car pour la première fois de ma vie, je n'ai pas écrit pendant un an. Charlotte m'avait épuisé physiquement et je n'avais pas d'idée, pas d'envie, pas de désir. Puis c'est reparti, un peu par hasard. Et là c'est pareil, je l'ai terminé il y a plus de six mois, ce livre, et je n'ai plus rien. Bien sûr, j'ai plein de projets, mais le plus important est d'écrire des romans quand même. On verra.

Le mystère Henri Pick. David Foenkinos. Gallimard, 286 pages.

Image fournie par la maison d'édition

Le mystère Henri Pick, de David Foenkinos