Cinq ans après sa sortie en anglais, l'auteur montréalais Dimitri Nasrallah voit enfin son roman Niko, puissant récit sur l'exil et la reconstruction, traduit en français par une maison d'édition québécoise. Rencontre avec un auteur et éditeur qui veut contribuer à faire tomber les murs, et petit portrait de la communauté littéraire anglophone.

«Je ne connais pas la guerre, elle ne fait pas partie de mes souvenirs. Mais le voyage, ça, je connais.» L'auteur de Niko, Dimitri Nasrallah, est né au Liban en 1977, mais n'y a vécu que ses cinq premières années. Fuyant la guerre civile en 1982, sa famille a vécu en Grèce pendant sept ans et à Montréal pendant deux ans, avant de s'établir à Toronto au début des années 90.

«J'y ai vécu 10 ans avant de revenir m'installer ici tout seul, comme un grand, dit Dimitri Nasrallah, auteur, prof de création littéraire à Concordia et DJ à ses heures. Mon français, je l'ai donc appris pendant les deux ans qu'on a passés à Montréal, quand j'avais entre 11 et 13 ans.»

Dimitri Nasrallah s'est beaucoup inspiré de son histoire personnelle pour raconter celle de Niko, petit Libanais qui quitte Beyrouth en bateau avec son père après la mort de sa mère dans un attentat. Séparé de son « baba », il sera ensuite hébergé à Montréal par une tante et un oncle, toujours en attente, jamais vraiment chez lui.

«Je me suis surtout inspiré de comment je me suis senti pendant ces deux années à Montréal. Le voyage de Niko a été plus dur que le mien, mais dans sa tête, c'est la même chose : il doit trouver comment se sentir chez lui.»

Et c'est un long processus, rappelle l'auteur. Il faut beaucoup de temps pour se sentir chez soi, arrêter de caresser des rêves de retour et apprendre à se reconstruire.

«Ce travail de trouver une maison, ça prend environ 10 ans», dit Dimitri Nasrallah en souriant. C'est ce long chemin qu'il raconte avec empathie et sensibilité dans ce roman bouleversant, qui suit quatre points de vue: ceux de Niko, «qui ne veut rien oublier car c'est ça son identité», de son oncle Samy, qui construit sa vie de manière stratégique, de sa tante Yvonne, nostalgique du passé mais intéressée par la modernité de sa nouvelle vie, et du père de Niko, Antoine, figure tragique qui perd tout, même la mémoire.

«Pour des gens comme lui, il faut oublier pour pouvoir recommencer. Sinon c'est impossible. Antoine est l'élément mythologique de l'histoire, une référence à l'Odyssée

Surtout, Antoine est aux prises avec les conséquences de ses mauvais choix, qui le sépareront à tout jamais de son fils. «L'exil, c'est souvent une accumulation de choix faits vite alors que tu n'es pas dans un moment idéal de ta vie, et après tu vis avec les regrets. Pour moi, la stabilité, c'est d'avoir le luxe de réfléchir avant de décider.»

Dimitri Nasrallah, qui vit maintenant à Verdun avec sa famille, est retourné au Liban une seule fois, en 2009. «Je me suis senti chez moi dans la famille, mais pas dans mon pays. Je pensais que je rouvrirais les portes pour un retour, mais j'ai plutôt vu que c'était la fin d'un chapitre. Celui de mon enfance et de la nostalgie d'un pays. C'est d'ailleurs là que j'ai terminé d'écrire Niko

Deuxième vie

Dimitri Nasrallah est catégorique: il n'aurait pas écrit le même livre s'il n'avait pas vécu à Montréal - Niko se passe d'ailleurs en grande partie dans la région montréalaise, entre un petit appartement de Montréal-Nord et une maison de banlieue sur la Rive-Sud. Mais il a fallu une rencontre avec Simon Philippe Turcot, directeur de La Peuplade, maison d'édition située au Saguenay, pour que le livre sorte enfin en français.

«Je pensais que ça n'arriverait jamais», dit l'auteur, qui est ravi de la traduction qu'en a faite l'auteur Daniel Grenier. «Je vois mes mots en dessous de ses phrases.»

Si Niko a connu une carrière honorable en anglais, Dimitri Nasrallah a l'impression que sa sortie en français risque de lui donner une deuxième et meilleure vie.

«Je risque d'être un de ces auteurs plus connus dans une langue autre que celle dans laquelle il travaille. L'intérêt pour ce livre est inattendu et me donne confiance. J'ai envie de travailler plus en français et j'aimerais participer au monde littéraire d'ici, qui est plus en santé que le canadien.»

Déjà adopté, l'auteur de 38 ans a d'ailleurs été invité au Salon du livre de Québec. Et comme nouvel éditeur chez Véhicule Press, la maison d'édition montréalaise qui a publié Niko en anglais, il a l'intention de faire traduire de plus en plus d'auteurs québécois. Sous sa férule, le roman La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen était lancé en anglais la semaine dernière, traduit par Neil Smith. Et lui-même travaille sur la traduction du premier tome de la trilogie d'Éric Plamondon, Hongrie-Hollywood Express (Le Quartanier), qui sortira en septembre.

Abattre les frontières

«Quelque chose se passe, le mur commence à tomber», dit celui qui se sent proche de la nouvelle génération d'éditeurs québécois, les Antoine Tanguay d'Alto et Mélanie Vincelette de Marchand de feuilles. Comme éditeur, il ne voit que des avantages à s'investir dans la communauté littéraire d'ici, et refuse le statut d'« exilé littéraire » qu'ont porté de nombreux auteurs anglophones au cours des années.

«On a des vies côte à côte, mais c'est la même vie, avec des visions différentes. On peut apprendre les uns des autres.» Et il espère qu'en racontant l'exil des Libanais pendant les années 80, Niko apportera un autre éclairage sur la crise actuelle des migrants.

«On a besoin de la littérature pour se rappeler. Mais c'est bon, déjà, de pouvoir avoir cette discussion. En Europe, on cherche comment fermer les frontières aux migrants, alors qu'au Canada, on cherche comment les accueillir. Ma famille a été chanceuse de se retrouver ici. Nous avons passé sept ans en Grèce, et jamais la porte n'a été ouverte. Il n'y avait pas d'avenir là, il fallait juste rester dans le moment présent. Alors que maintenant, mon présent et mon avenir sont ici. Le résultat de mon avenir, il est ici.»

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Niko. Dimitri Nasrallah. Traduit par Daniel Grenier. La Peuplade, 396 pages.