Guillaume Corbeil voit deux de ses projets aboutir en même temps. Son livre de contes Trois princesses sort au Quartanier pendant que sa pièce Unité modèle est présentée au Théâtre d'Aujourd'hui.

Les fées ont soif, c'est bien connu. Avec Guillaume Corbeil, elles se débattent comme des diablesses, tentent de régler leurs comptes et finissent, parfois, par s'en sortir.

Écrits au cours des trois dernières années, aussi bien ses contes Trois princesses que sa pièce Unité modèle abordent des questions parallèles sur la représentation de la femme, l'image et la consommation dans des univers où la cruauté triomphe.

«Ça parle de la projection que l'on peut faire dans un absolu. À la fin, la Belle au bois dormant du livre quitte son château, tout comme la représentante dans Unité modèle abandonne son monde préfabriqué. Inconsciemment, les deux fins se sont confondues dans ma tête, je crois.»

L'auteur s'intéresse à l'univers du conte depuis longtemps, mais il n'aurait pas revisité Blanche-Neige, Cendrillon et La belle au bois dormant sans l'insistance de l'éditeur Éric de Larochellière, du Quartanier. «Éric est tellement passionné qu'il m'a donné le goût de refaire un livre», dit-il.

«Au début, ça faisait 60 pages, mais de plus en plus, les histoires se répondaient. Les trois princesses communiquent entre elles à un moment donné.»

Si les contes qu'il a adaptés parlent, comme les originaux, de beauté-éternité et d'amour-toujours, l'auteur s'en sert pour aborder notre époque: de poupées et de monsieurs Muscle, de gouvernants qui veulent faire taire les scientifiques, de chirurgie esthétique, de mutilation, de pédophilie... Avec un sourire en coin.

«Au début, j'ai déconstruit les contes dans mes temps libres. C'est un univers hyper permissif, le conte, mais ce n'était qu'un jeu. Après, j'ai reconstruit. Blanche-Neige, par exemple, s'est approchée de Nelly Arcan, la femme qui veut dire quelque chose, mais qu'on persiste à aplatir en une belle image.»

Image-prison

Avec Cendrillon, son propre reflet vu dans un étang remplace le personnage de la Fée marraine, mais le triste sort de la belle ressemble davantage à celui de la petite sirène. Dans tous les cas, l'auteur s'attaque à la question de l'image. Celle à laquelle on réduit les femmes bien souvent. L'image-prison.

«L'image étend ses tentacules. La réalité disparaîtra un jour ou l'autre dans l'image. C'est le prisme par lequel je vois le monde. Faudrait que je me fasse violence et parler d'autre chose. La Belle au bois dormant, en tout cas, accepte la vieillesse et ne veut plus dormir. Pour vivre enfin. Je me suis rendu là.»

Illustrées par Marc Larivière, les trois histoires font mal paraître les hommes en général, les princes et les rois en particulier. Un livre féministe?

«On pourrait dire ça. Dans les trois contes, personne ne veut savoir ce que les femmes pensent. Elles le font par elles-mêmes et, dans certains cas, changent leur vie.»

Unité modèle

Si les contes lui ont permis de s'éloigner du réel du théâtre social, Guillaume Corbeil vient aussi d'écrire une pièce où l'étrange vient rompre l'ordre parfait d'Unité modèle, univers de paraître et de l'avoir où se déroule un conte de fées avec une princesse et un prince de type Lifestyle.

«J'ai fait mes recherches dans Griffintown, en fait. J'ai été impressionné par l'idée d'un vendeur qui n'a pas assez d'argent pour se payer ce qu'il vend.»

Le dramaturge se dit plus nerveux pour sa troisième pièce qu'il ne l'était pour ses deux premières (Les cinq visages de Camille Brunelle et Tu iras la chercher), pour lesquelles le processus de création avait duré 9 et 24 mois.

Mais il sait son texte en bonnes mains : le metteur en scène Sylvain Bélanger ainsi que les comédiens Anne-Élizabeth Bossé et Patrice Robitaille.

«C'est ce qui a été le plus difficile à écrire jusqu'ici. Tout doit vibrer un peu à la surface. Comment en donner assez au spectateur pour qu'on comprenne qu'il se joue quelque chose d'important, mais qu'au même moment, les personnages sont assez bons pour n'en rien laisser paraître. Ça prend de maudits bons acteurs.»

Spectateurs-clients

Dans sa forme, la pièce imite une vraie présentation d'unité modèle d'habitation.

«J'aimais l'idée que les promoteurs en train de s'approprier la ville comme objet de consommation, au théâtre, deviennent des vendeurs qui traitent les spectateurs comme des clients.»

Mais cette présentation déraille, évidemment. L'auteur a glissé du sable dans l'engrenage pour rappeler que le réel existe.

«La pauvreté est quelque part, elle apparaît dans les craques du plancher de ce monde-là, décrit comme parfait. Mais la machine tente de récupérer tout en objet de consommation, même des problèmes graves.»

Image, dis-nous qui est la plus belle. La vérité ou le mensonge?

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La pièce Unité modèle est présentée au Théâtre d'Aujourd'hui du 12 avril au 7 mai.

Trois princesses. Guillaume Corbeil. Le Quartanier, 138 pages. En librairie.