Elle est partout, Janette Bertrand, ces jours-ci, à l'occasion de la sortie de son livre La vieillesse par une vraie vieille, une espèce de suite de sa populaire autobiographie Ma vie en trois actes, publiée en 2004. À moins d'une semaine de son 91e anniversaire, celle qui a contribué à sortir le Québec de la noirceur nous a reçu au rez-de-chaussée de la tour d'habitation où elle vit depuis des décennies au centre-ville de Montréal. Rencontre avec la plus jeune des petites vieilles.

On la voudrait tous comme grand-mère. Chaleureuse, volubile, vive d'esprit, authentique et humble, même si elle aurait les moyens de ne pas l'être.

Bref, pas le genre à nous souhaiter «bon succès dans nos études» même si on a lâché l'école à l'époque où Éric Salvail était animateur de foule, ou à nous offrir des «paparmanes» de fond de sacoche en radotant sur le bon vieux temps.

Janette Bertrand nous accueille en s'appuyant sur une canne, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, avant de nous inviter à prendre place sur un sofa capitonné du lobby de l'immeuble.

La dernière fois qu'elle a été aussi présente dans la sphère publique, elle faisait son coming-out péquiste à la tête d'un contingent de «Janette» en faveur de la Charte des valeurs. Une erreur, reconnaît-elle aujourd'hui. Ses propos sur la menace intégriste - qu'elle ne réfute pas - ont notamment été jugés racistes par beaucoup. «J'ai réalisé que je ne me mêlerais plus de politique, ce n'est pas ma force. Au moins, j'ai appris», reconnaît Mme Bertrand.

L'écriture occupe énormément les vieux jours de la nonagénaire, auteure de sept livres, dont cinq romans (elle planche sur son sixième). Un peu par dépit. 

«Évidemment, je suis vieille, c'est difficile d'avoir des émissions, des séries. Le livre marche bien, ça répond à un besoin.»

Ce besoin, celui de communiquer, est justement la prémisse de son nouveau livre: voir la vieillesse à travers le regard d'une full patch du troisième âge. Une sorte de cours 101 de l'âge d'or, présenté sous forme de courts textes découpés en autant de thèmes.

«À ton âge, la mort n'existe pas. C'est plate, ça, il faut être vieux pour en prendre conscience», lance d'entrée de jeu Mme Bertrand, les yeux voilés de larmes. «Je me suis rentré le mascara dans l'oeil. Ça fait partie des petits bobos de la vieillesse!», lance-t-elle, dans un éclat de rire.

Seconde vie d'adulte

Janette souhaite faire réaliser aux gens qu'après leur retraite, ils auront encore au moins 30 ans - ou 1560 semaines - à vivre, ce qu'elle qualifie de «seconde vie d'adulte».

Son livre s'adresse d'abord aux baby-boomers, qui gonflent massivement les rangs de la vieillesse. Janette Bertrand se montre critique envers les résidences pour personnes âgées, qui «ghettoïsent» les aînés.

Un passage de son livre est éloquent à ce sujet. «L'avenir des personnes qui ont fait le Québec, ce n'est pas de jouer aux cartes ou aux poches à longueur d'année», écrit-elle.

L'auteure vante les pays scandinaves, où les parcs locatifs intergénérationnels sont la norme. Et dénonce du même souffle le désintérêt de la population active envers ses aînés, qu'on jette après usage. 

«Moi, on ne me demande jamais conseil, je suis obligée d'écrire des livres pour partager mes connaissances.»

Janette Bertrand ne veut pas prendre la place des jeunes, elle croit simplement que ses expériences pourraient servir. Après tout, elle a dirigé une armée de comédiens talentueux dans ses dramatiques.

Ce qui est frappant aussi à la lecture de son livre, c'est l'hommage rendu à son père. «Mon père était un homme de son temps, caressant, et il est mort entouré de ses proches. Je veux qu'on se souvienne de moi comme on se souvient de lui.»

Les nouveaux pères

S'entretenir avec Janette Bertrand sans parler de couple, ça serait un peu comme parler à Yoda sans évoquer la Force.

D'emblée, cette féministe de la première heure salue le rôle du père dans le couple moderne. «Les hommes sont formidables et ont compris qu'il y a du fun dans la paternité. Il y a une égalité dans le couple qui se forme par la parentalité», observe Mme Bertrand, qui se dit issue de la génération «silencieuse».

En couple depuis 33 ans avec son Donald - un homme de 20 ans son cadet -, Janette Bertrand estime aussi que la vie de couple est à repenser. «Certains vont rester fidèles durant 60 ans, d'autres, non. Ce n'est pas à la société ou à l'Église de choisir, c'est à chacun de nous», glisse-t-elle.

Athée, Janette Bertrand répète plusieurs fois une même phrase dans son livre et en entrevue, comme un mantra: on n'a qu'une seule vie à vivre, profitons-en. «Chaque matin, je m'estime chanceuse d'être vivante. J'aime mieux sortir en chaise roulante que de ne pas sortir», confie Mme Bertrand, dont la principale crainte est de perdre son autonomie et de devenir un fardeau pour ses proches. «C'est sûr que j'ai de l'usure, des problèmes de dos terribles, mais j'ai toute ma tête», se réjouit-elle.

Le temps qu'il lui reste, Janette Bertrand veut le passer à écrire, mais surtout à écouter. Elle n'a peut-être pas le style des grands auteurs - devant lesquels elle semble d'ailleurs un peu complexée -, mais sa façon d'écrire est simple, concrète, efficace. Un ton intimiste qui l'aide sans aucun doute à se frayer un chemin sur la table de chevet de milliers de Québécois. «Je veux susciter une réflexion chez les gens qui vont vieillir», résume-t-elle.

L'entrevue achève. Janette Bertrand nous parle de son prochain projet d'écriture. Un autre tabou à démystifier, la bisexualité.

Après tout, la vie continue et la retraite n'existe pas quand on aime ce qu'on fait. Parfois, certains décès de personnalités la touchent, comme celui de René Angélil récemment. La déprime dure 30 secondes. Puis, elle se ressaisit, remercie la vie de lui donner un jour de plus, et se replonge dans l'écriture ou les bras de son Donald.

Le concierge est en train de passer la vadrouille dans le hall. Le plancher est glissant. Janette Bertrand s'accroche au bras du journaliste.

C'est normal, elle est vieille.

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La vieillesse par une vraie vieilleJanette Bertrand. Libre Expression, 304 pages. En librairie le 25 mars.

Image fournie par la maison d'édition

La vieillesse par une vraie vieille, de Janette Bertrand