L'auteur montréalais Sean Michaels a remporté le prix Giller avec son tout premier roman Us Conductors. La traduction française, Corps conducteurs, sort ces jours-ci chez Alto. Rencontre avec un jeune homme comblé.

Sean Michaels est un romantique. Dur, dur de l'être en ces temps où les forceps du pragmatisme dominent partout et à propos de tout, mais il rêve de rêver mieux, de remettre l'espoir à l'ordre du jour.

Son roman Corps conducteurs est donc un roman d'amour, un amour impossible, un amour inventé. Bien ancré, cependant, dans une histoire impliquant de vrais personnages historiques, l'inventeur russe Léon Thérémine et sa muse américaine Clara, à une époque où tous les rêves étaient permis. 

Cette histoire de science et d'espionnage, d'inventions et de guerre froide se déroule il y a environ un siècle, quand l'idée de jours meilleurs était une affaire quotidienne. 

«Dans les années 20-30, tout semblait possible, raconte Sean Michaels. L'électricité changeait le monde en mieux. Le communisme visait une société plus juste et progressiste. On était pleins d'espoir à l'époque, mais le XXe siècle est venu casser tous ces rêves. Cet esprit-là me manque. Dans la vie, il nous faut des fictions. Peut-être qu'il est mensonger de croire à l'amour et au fait qu'on soit tous des frères, mais on a besoin d'y croire.»

Réalisme magique

Sean Michaels n'est pas amateur de romans historiques. C'est le réalisme magique qui l'intéresse davantage, celui de Salman Rushdie, David Mitchell ou Garcia Marquez. 

«J'aime les histoires fantaisistes, mais qui se déroulent dans le monde réel. L'histoire de la science ou de la Russie, c'est du même ordre pour moi. Un secret scientifique, c'est presque de la magie.»

Dans le roman et dans la réalité, Lev Termen (Léon Thérémine) a inventé l'instrument de musique appelé «thérémine». Aux États-Unis, il a fait la connaissance de Clara, qu'il a demandée en mariage. L'homme a déclaré avoir été un espion soviétique. Il a disparu de New York du jour au lendemain et a été envoyé au goulag. 

Ce qui est faux: Lev Termen ne connaissait pas le kung-fu et n'aurait donc pas tué un homme, comme Sean Michaels l'invente. 

«Ces personnages réels, historiques pouvaient servir à l'histoire que je voulais raconter, note le romancier. Il fallait ensuite y ajouter des éléments et des personnages, comme les espions soviétiques, qui fonctionnaient avec la silhouette du récit que je voulais développer.»

MUSIQUE, MUSIQUE

Sean Michaels est journaliste musical. D'origine écossaise, il vit à Montréal depuis l'an 2000 et est chroniqueur au Globe & Mail. Il a aussi travaillé pour des publications comme The GuardianPitchfork et Rolling Stone, aidant à définir ce qui est aujourd'hui connu comme le son de Montréal en musique indie. Mais le thérémine n'en fait pas partie. 

« Un soir, en écoutant la radio en auto, j'ai entendu l'instrument. Je croyais que c'était une soprano qui chantait. Je capotais. C'était tellement beau et puissant. Des années après, je voulais écrire une histoire d'amour, l'amour comme invention. Je pensais à Lev et Clara, au thérémine, un appareil inventé aussi. Tout allait ensemble. »

Dans le roman traduit en français, il s'est même offert un clin d'oeil typique d'amateur de musique. Les titres des chapitres correspondent à des titres de chansons francophones des années 80 : cold wave, post et post-punk français et québécois. 

Rêver demain

C'est comme ça. Sean Michaels aime rêver, aime penser que le fait de rêver peut changer les choses. 

«On peut faire des choix comme citoyens et vivre avec ces choix. Mais on peut aussi changer ce qu'on est avec un peu de volonté. Ce que nous sommes aujourd'hui ne définit pas ce que nous déciderons ou rêverons d'être demain. L'amour peut nous permettre de survivre à un désastre, peu importe s'il s'agit d'un amour menteur ou s'il est vrai. C'est une des questions que je veux laisser au lecteur.»

En raison du prix Giller, meilleur roman canadien en 2014 pour Corps conducteurs, Sean Michaels n'a pas pu avancer son deuxième roman comme il l'aurait voulu cette année. L'histoire traitera d'espérance et se passera à Montréal, «plus ou moins aujourd'hui dans cette ville [qu'il] aime tant».

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Corps conducteurs. Sean Michaels. Traduction de Catherine Leroux. Alto, 390 pages. En librairie.

PHOTO FOURNIE PAR ALTO

Corps conducteurs, de Sean Michaels