Martin Michaud fait cet automne une petite infidélité à son policier fétiche Victor Lessard pour aller du côté du thriller d'espionnage. Celui qui en est à son septième roman en six ans entraîne le personnage central de Quand j'étais Théodore Seaborn du quartier de Notre-Dame-de-Grâce jusqu'en Syrie, sur les traces du groupe armé État islamique (EI).

«On est nécessairement contaminé par le monde dans lequel on vit et, selon moi, un thriller doit être un certain reflet de la société. Pas un polaroid, c'est out, mais un selfie, un snapshot. Je sentais que je n'avais pas le choix, comme romancier, que je ne pouvais pas passer à côté de ce sujet-là.»

L'auteur de 45 ans affirme que, malgré les apparences, ce nouveau roman n'est pas son plus complexe. «Il n'y a pas de meurtre à élucider ni de tueur à traquer.» Seulement un complot d'attaque bactériologique à déjouer! «Il est très différent dans sa forme, un peu comme j'avais fait dans Sous la surface, qui se passait pendant la présidentielle américaine. Les hors-série me permettent d'aller ailleurs. Je trouve surtout qu'il est mon plus abouti dans la façon dont j'ai développé les personnages.»

Le héros du roman, Théodore Seaborn, n'est pas un héros mais un homme ordinaire, marié et père d'une petite fille, qui traverse une grave crise existentielle. Accro à la cocaïne et aux Coffee Crisp, il passe ses journées à regarder des reprises de la commission Charbonneau et songe au suicide. Lorsqu'il croise son sosie dans la rue, il développe une fascination pour cet inconnu et sa curiosité l'entraînera jusqu'à Racca, en Syrie, où il devient prisonnier de l'EI.

Théodore Seaborn devra ainsi traverser l'enfer avant de pouvoir rentrer chez lui. «Je voulais montrer comment un événement atroce peut faire en sorte que quelqu'un va vivre une transformation profonde et avoir désespérément envie de vivre. Si on me dit: c'est un thriller, oui. Un roman d'espionnage, O.K. Mais pour moi, ce livre est aussi une quête initiatique, que Théodore fait bien malgré lui, mais qui l'amènera à changer et à retrouver ses racines.»

Pas manichéen

Bien sûr, Quand j'étais Théodore Seaborn demeure d'abord un thriller et non un roman philosophique, dit l'auteur. Mais ce n'est pas non plus un «thriller bébête» peuplé de méchants terroristes unidimensionnels.

«Je trouvais important qu'il y ait un supplément.» L'auteur rejette le manichéisme et a même créé un bourreau doté d'une parcelle de compassion. 

«Je suis peut-être un grand naïf, mais j'ai essayé d'aller chercher l'humanité qui existe peut-être chez les gens engagés dans l'État islamique.»

Il se sent d'ailleurs la responsabilité de ne pas attiser la flamme de l'islamophobie par des amalgames malheureux, et il s'est assuré de ne pas avoir écrit un livre qui choquerait les gens de confession musulmane. Ainsi, il a consulté, vérifié, fait relire.

«Je me suis entouré de beaucoup de gens qui m'ont aidé à avoir l'air plus intelligent que je le suis», explique celui qui n'a jamais mis les pieds en Syrie. «J'ai vérifié, par exemple, comment on peut concrètement passer la frontière de la Turquie à la Syrie. J'ai fouillé les aspects opérationnels. Aussi, comme on est en 2015, tous les combattants ont des GoPro. On peut trouver tous ces films sur le web, avoir des images très précises des lieux et des gens.»

Il s'est aussi inspiré d'un long reportage sur l'EI, réalisé par un journaliste qui a passé trois semaines à Racca avec l'attaché de presse de l'organisation, pour traduire leur doctrine. «Pour ne pas mettre dans leur bouche des trucs qui seraient exagérés.»

Violence

Quand j'étais Théodore Seaborn est un livre trépidant aux péripéties et revirements aussi nombreux que surprenants. Du pur Martin Michaud, quoi, qui comporte des scènes de violence et de torture assez insoutenables.

«Oui, ça va loin. Mais on vit dans un monde violent. Devant ça, on a un choix: soit on nomme cette violence, soit on s'enfouit la tête sous les couvertures en prétendant qu'elle n'existe pas. Moi, je choisis de la montrer, mais avec une certaine limite, un code de déontologie personnel. J'aurais pu aller encore plus loin dans l'horreur. Je suis un peu maso, j'ai regardé des trucs... mais j'ai décidé de ne pas aller là.»

Son défi a toujours été de trouver l'équilibre entre la violence qui sert le propos - ici, elle contribue à la quête de Théodore - et la violence gratuite. Pour ne pas créer «une esthétique de la violence qui ferait le jeu des gens comme l'EI», dit-il.

«Il y a des romans où la violence est le moteur de l'intrigue, alors que dans mon cas, la violence est un des ingrédients nécessaires pour faire avancer la trame.»

«Occulter la violence du monde, ça fait de nous les complices de ceux qui préfèrent fermer les yeux. Je crois qu'il est nécessaire que des gens prennent le projecteur et disent: ça, c'est laid.»

Martin Michaud est bien conscient que ce n'est pas un thriller qui va changer le monde. Mais il espère que les lecteurs resteront avec l'idée, en terminant le livre, que chacun, à sa petite échelle, peut avoir un impact.

«Pour moi, c'est un roman profondément humaniste. S'il y a une chose que je veux que l'on retienne, c'est qu'on a tous une capacité de toucher les autres êtres humains. On a encore le droit d'espérer que le monde peut changer en mieux. Sinon on tombe dans le camp des cyniques. C'est séduisant, ça fait de bonnes répliques, mais quand on a des enfants, on n'a pas le droit d'abandonner notre humanité.»

Où est Victor Lessard?

L'enquêteur du SPVM Victor Lessard, héros de quatre des sept romans de Martin Michaud qu'on a vu pour la dernière fois dans Violence à l'origine, l'an dernier, fait une sympathique apparition éclair dans Quand j'étais Théodore Seaborn. Mais l'auteur tient à rassurer ses fans: Lessard et sa partenaire Jacinthe Taillon devraient être de retour prochainement. «Je n'ai pas terminé avec eux, j'ai plein de choses à leur faire vivre. Mais je réclame aussi le droit d'essayer autre chose. Je ne crois pas être l'auteur d'une seule série.»

Ambition

Depuis son premier livre sorti en 2010, Il ne faut pas parler dans l'ascenseur, Martin Michaud est devenu le fer de lance du polar québécois. Pas mal pour celui dont le rêve était de publier... un seul roman. «J'en aurais vendu 500 du premier, et ç'aurait été une réussite.» Mais les choses ont déboulé, les prix se sont accumulés, les chiffres de vente ont explosé, et l'ancien avocat, qui vit de sa plume depuis quatre ans, ne cache pas son ambition. Ses livres sont déjà diffusés en Europe francophone par une maison «très agressive» (Kennes, qui distribue avec succès la série jeunesse La vie compliquée de Léa Olivier, de Catherine Girard-Audet), il travaille toujours sur un mystérieux projet d'adaptation (télé? cinéma?), et aimerait investir le marché anglophone. «Sans entrer dans les détails, il y a des discussions pour que la série des Lessard soit traduite en anglais et même dans d'autres langues, d'autres marchés.»

Sans complexes

«Les polars d'ici n'ont rien à envier à ce qui se fait ailleurs», dit Martin Michaud, qui estime que les auteurs québécois ne doivent plus avoir de complexes. «Les Scandinaves ont connu un âge d'or incroyable, mais ce n'est pas vrai que leur 62e auteur de romans policiers est si bon que ça. On a un travail d'éducation à faire ici. Moi, je fais partie des chanceux qui ont brisé la barrière, mais je dis souvent aux gens: essayez les autres.» Benoît Bouthillette, son «frère d'écriture», André Jacques, Chrystine Brouillet, «qui a inventé le genre au Québec avec Patrick Senécal», Richard Ste-Marie, Hervé Gagnon, Johanne Seymour... la confrérie des auteurs de polars québécois est diversifiée et talentueuse, estime-t-il. «La compétition n'est pas entre nous. C'est les étrangers qu'il faut battre sur les tablettes. Notre job est de convaincre que la production québécoise est loin d'être suspecte.»

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Quand j'étais Théodore Seaborn. Martin Michaud. Les Éditions Goélette, 432 pages.