C'est par la littérature que l'écrivain Charles Dantzig a choisi de répondre aux grandes manifestations contre la légalisation du mariage gai qui ont pris d'assaut Paris pendant des mois en 2012 et 2013. Histoire de l'amour et de la haine, grand roman choral où sept personnages évoluent dans cette ambiance glauque et tendue, est toujours en lice pour trois prix importants: le Médicis, l'Interallié et le Grand Prix du roman de l'Académie française.

On le sait follement amoureux de Paris, la plus littéraire des villes pour l'auteur du fameux Dictionnaire égoïste de la littérature française. Mais il y a deux ans y est entré quelque chose de «contraire à l'esprit de Paris», selon Charles Dantzig, qui a symboliquement découpé son roman en 23 chapitres, comme l'Iliade, pour montrer que le cheval de Troie était bien là.«C'était d'une agressivité, se souvient-il, stupéfait devant la violence des manifs contre le mariage pour tous. Un million de personnes dans les rues! On a dit que c'était la première fois qu'on manifestait à Paris contre l'attribution d'un droit à quelqu'un, ce qui est déjà énorme. Un ami d'Oxford m'avait appelé, parce que les Anglais avaient le même projet de loi, pour me dire "Ah, vous, la France, pays de la tolérance et des droits de l'homme, vous allez voter ça en une semaine, et nous, les Anglais, on aura l'air de vieux puritains obligés de vous imiter".» C'est le contraire qui s'est passé. L'Angleterre a voté ça sans problème, et en France, ça a été des mois et des mois de rage et de manifestations alors que même en Espagne, pays archicatholique, ils ont passé la loi.»

«Je pense que si mon livre sert à quelque chose, c'est à dire que Paris n'est pas la ville qu'elle dit qu'elle est et que la France n'est pas le pays qu'elle dit qu'elle est.»

Voilà la toile de fond d'Histoire de l'amour et de la haine, un roman en fragments - comme aime bien écrire Dantzig - animé par une mosaïque de personnages qui vivent comme ils peuvent malgré les événements. Ça va du député Furnesse, homme vulgaire et homophobe qui sévit dans les médias, dont le jeune fils Ferdinand est pourtant gai - et souffre de ce père qui le nie -, en passant par un grand écrivain en panne sèche, une femme belle et solitaire, amie du couple formé par Armand et Aaron. Mis à part Furnesse, ce qui relie ces personnages est la tendresse, l'amitié et un véritable amour de la vie. L'amour, sous toutes ses formes, y est plus fort que la haine, même si pour l'écrivain, «la tendresse est une résistance pathétique».

Il faut dire aussi qu'on a rarement lu un Charles Dantzig aussi engagé - son parti pris ayant toujours été plus du côté de la défense de la littérature que des droits civiques. Il y a dans ce roman une salutation au courage gai, surtout adressée aux jeunes qui doivent vivre leur identité dans un environnement aussi hostile. Un chapitre est consacré aux assassinats d'homosexuels depuis le début des années 2000, le tout coiffé d'une photo de Vladimir Poutine - quand on sait les crimes homophobes qui se commettent en toute impunité en Russie... Être gai est encore, malheureusement, un danger.

«J'ai vu pour la première fois à Paris des curés en soutane, poursuit-il. C'était symboliquement frappant. Les gens revenaient dans Paris, de façon rancunière, rageuse. C'est pour moi très profond, comme la symbolisation d'une vieille France médiévale, qui a refusé la Révolution, la liberté. Comme une vieille France pétainiste qui revient.»

On l'aura compris, Charles Dantzig appartient à ce groupe de plus en plus nombreux de gens pessimistes quant à l'avenir de la France qu'il décrit comme «folle de douleur». «Je le crois. La France est dérangée pour tout un tas de raisons historiques et politiques. Elle est ivre de douleur et elle ne le sait pas, c'est dangereux. On parle beaucoup de nos années 10 en rapport avec les années 30, mais dans les années 30, on savait où était la saloperie. Elle était en Allemagne, en Italie. Aujourd'hui, je pense qu'elle est en France. Quel est ce pays où tous les mois, il y a un attentat ou une tentative d'attentat? La France a perdu son surmoi et c'est beaucoup dû à Sarkozy, je pense. Il disait tout ce qui lui passait par la tête. Il n'y a plus de retenue dans ce pays qui est censé être celui de la conversation, de la délicatesse... La France est un pays amer, intellectuellement malade.»

Contre-révolution

«L'esprit révolutionnaire, c'est aussi la contre-révolution. Il existe des révolutions de droite. Je ne sais pas si on s'en est bien rendu compte à l'étranger, mais c'était des manifs tous les jours, où des types se castagnaient avec la police. Le pire peut-être étaient les commentaires incessants dans les médias, devenus archiréactionnaires en France. Des spécialistes, très doctes, très machins, "les homosexuels sont comme ceci, sont comme ça", comme si nous étions une espèce d'animal un peu à part au zoo de Vincennes, comme si on ne faisait plus partie de la communauté nationale.»

Charles Dantzig s'arrête un instant, comme encore bouleversé par ses souvenirs. «On pense que le bien est acquis, mais il ne l'est jamais. Le mal est beaucoup plus rapide. Je pense qu'on est dans une ère dégueulasse. Les gens disent faisons attention, ça va arriver, mais on y est, c'est déjà là, c'est installé.»

Écrire ce roman, était-ce une réponse à la haine? «Je peux difficilement dire le contraire. J'assume complètement le mot politique, au fond. Je crois qu'on se rappelle mieux les événements quand la littérature les a décrits. Je pense que les pays qui ont les rapports les plus compliqués avec leur histoire sont ceux qui n'ont pas de littérature. Je me suis dit de ce moment que j'ai considéré très violent qu'il fallait tenter d'en faire de la littérature, un morceau de fiction pour qu'on s'en souvienne. Je vois bien que ça frappe, je me fais injurier sur les réseaux sociaux par les salauds. Ils ne sont pas contents que j'aie pris une photo de ce moment pour dire ce qu'est la haine et qu'on ne pourra pas l'oublier aussi vite.»

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Histoire de l'amour et de la haine. Charles Dantzig. Grasset, 476 pages.