Il y a la Martine Delvaux essayiste et féministe prête à prendre la parole chaque fois que nécessaire. Et il y a la Martine Delvaux romancière de l'intime, auteure de trois romans (C'est quand le bonheur, Rose amer et Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage), qui propose cet automne une autofiction prenante, Blanc dehors.

Martine Delvaux est née en 1968 à Québec et n'a jamais connu son père. Toute sa vie, elle aura cherché à comprendre les débuts de son existence. Comment ses grands-parents ont-ils réagi en apprenant que leur fille était enceinte? Est-ce que sa mère a songé à l'avortement? Placée à l'orphelinat «en attendant» tout de suite après sa naissance, comment les soeurs se sont-elles occupées d'elle? Quel était son prénom pendant cette période? Et surtout, qui était ce père qui a refusé de reconnaître sa paternité et s'est enfui, dont elle ne connaît même pas le nom?

Martine Delvaux nous parle d'un monde en transition entre la libération sexuelle et une société encore dominée par l'Église. C'est dans ce contexte qu'elle est venue au monde, et qu'une chape de plomb a été posée sur sa conception et ses premiers mois de vie.

Au cours des années, Martine Delvaux n'a réussi à soutirer que quelques bribes de son histoire à son entourage. Dans Blanc dehors, la romancière tente donc de combler les vides et refait le fil de son récit personnel bourré de trous, par urgence, par nécessité, quitte à froisser les gens autour d'elle. «Je ne peux pas attendre que les gens meurent pour écrire, j'écris pour les vivants, avec eux autour de moi.»

Le résultat est d'une beauté et d'une densité bouleversantes, et place le lecteur devant ses propres interrogations. D'où vient-il? Qui étaient ses parents? Comment tout cela s'est-il réellement passé? On ne le sait jamais vraiment.

«Aucun livre n'a été aussi difficile à écrire que celui-ci», admet l'auteure dès le début. Elle y est arrivée pourtant, avec finesse et délicatesse, mais sans apitoiement ni mélodrame. À coups de courts paragraphes qui se promènent dans le temps, elle a écrit un livre extrêmement intime, mais dont la portée est pourtant très large.

«Ce n'est pas un récit sur ma mère. Ce n'est pas non plus un récit sur mon père. C'est un récit qui parle de l'absence de récit», écrit-elle. Ainsi la fiction prend le relais du non-dit, parce que vaut mieux une histoire inventée qu'une histoire pleine de trous.

Blanc dehors, Martine Delvaux, Héliotrope, 186 pages, ***1/2

Photo fournie par l'éditeur