Alchimiste de la langue, archiviste des croyances et des mythes qui fondent l'Afrique, Alain Mabanckou convoque dans sa foisonnante oeuvre littéraire souvenirs et émotions de ses années formatrices, au Congo-Brazzaville des premiers temps de l'indépendance. Heureuse coïncidence: le jour même de notre entretien au téléphone, alors qu'il était de passage à Paris, Alain Mabanckou venait tout juste d'apprendre que son plus récent roman, Petit Piment, se trouvait sur la première liste qui mène au prix Goncourt.

Bien sûr, il y a la fierté d'être à nouveau couronné de prestige, quelques mois après sa présence dans la courte liste de l'International Man Booker Prize. «Depuis quelques mois, le téléphone n'arrête pas de sonner!», dit-il, amusé. Mais s'illustre également la pertinence de s'élever comme une voix forte à l'échelle littéraire mondiale, pour une Afrique qui se cherche et qui aspire à toucher à sa juste part de lumière.

«Le personnage de Petit Piment est le symbole d'un enfant marginal, qui refuse la fatalité et peut trouver le bonheur où il s'y attend le moins. Il a grandi dans un orphelinat dont il s'est échappé pour se retrouver dans les marchés de Pointe-Noire. Là, il a été accueilli par une maquerelle qui symbolise la forte présence de la femme», raconte Alain Mabanckou, qui qualifie Petit Piment de son ouvrage le plus «féminin», en raison de la belle part qu'il fait à des héroïnes maîtres de leur destinée.

Dans ce récit initiatique, les prostituées tiennent tête à de petits caïds qui sclérosent une société où les croyances animistes côtoient la montée du socialisme, dans un curieux mélange au fort potentiel métaphorique. 

«Je voulais montrer comment les femmes tiennent le pivot de l'Afrique.»

Dans Petit Piment, Alain Mabanckou revisite Pointe-Noire, territoire de son pays d'enfance. Un retour aux sources déjà amorcé dans ses précédents romans Demain j'aurai 20 ans et Lumières de Pointe-Noire. «Tracer une sorte d'autobiographie congolaise» est l'ambition d'Alain Mabanckou, qui explique que la horde de personnages gravitant autour de son héros central, Moïse, sont tous plus ou moins inspirés par des personnes ayant marqué sa propre enfance.

«Je convoque aussi les croyances qui planaient quand j'étais tout petit. Il y a également une naïveté, une innocence que j'essaie de garder. Je rapporte aussi ce que me racontait ma tante, ma cousine... Tout cela me revient comme une nostalgie heureuse, qui n'est pas une tristesse, mais le sentiment d'une époque que je regrette.»

LA BRÈCHE DE L'IMMIGRANT

Établi depuis plusieurs années à Los Angeles, où il enseigne la littérature francophone à l'UCLA, Alain Mabanckou parle d'une «brèche» qui s'est ouverte dans son esprit quand il a commencé à écrire sur son enfance africaine.

«Ce désir de retour vers le pays de l'enfance s'est pratiquement imposé à moi quand j'ai commencé à écrire des fictions déjantées, des fables, sur la condition d'immigré en France. Au bout d'un moment, j'ai eu l'impression qu'il me fallait retourner à la source et partir de Pointe-Noire. Cela m'a permis d'extraire des éléments qui me permettent de tracer une sorte d'autobiographie congolaise, une peinture sociale...»

Alain Mabanckou a été sollicité par plusieurs traducteurs depuis sa nomination à l'International Man Booker Prize, en mars dernier. «Ça m'a fait plaisir d'être dans cette liste. Cela procure une satisfaction, puisqu'il n'est pas toujours facile, pour nous qui écrivons en français, de gagner l'espace anglophone.»

Et qu'en est-il de ses lecteurs africains? Verre cassé, Mémoires de porc-épic et autres Black Bazar sont lus dans les écoles de plusieurs pays francophones d'Afrique. Mais les romans d'Alain Mabanckou circulent aussi dans des réseaux illicites. «Au Bénin, par exemple, quand on a mis le livre au programme, des petits malins sont allés fabriquer le livre en Chine. Ça m'a fait rire, surtout: on ne peut pas les engueuler, les livres coûtent très cher pour les Africains!»

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Petit Piment. Alain Mabanckou. Seuil, 288 pages.