Malgré ses 80 ouvrages publiés, le prolifique Michel Onfray estime que Cosmos est son «premier livre», un essai dans lequel il expose sa «philosophie personnelle de la nature». Premier titre aussi d'une trilogie annoncée, déjà vendu à plus de 100 000 exemplaires, ce qui n'est pas une nouveauté pour l'un des philosophes les plus populaires de France, malgré de nombreux détracteurs.

Il est de toutes les tribunes, sa figure en une des magazines, encore plus depuis les attentats de janvier qui ont traumatisé les Français. Ce n'est pas d'hier que Michel Onfray attaque les élites germanopratines, mais son discours trouve un nouvel écho dans un pays où la gauche déçoit.

«Je sais qu'il y a eu une espèce de choc avec les attentats, dit-il, joint chez lui au téléphone. J'ai été invité chez Laurent Ruquier où j'ai dit clairement que tout ça avait quand même beaucoup à voir avec l'islam, que c'était sidérant de dire que ça n'avait rien à voir. J'ai tenu un discours de vérité qui est entré en résonance avec pas mal de gens - le peuple, je dirais. Les intellectuels, la plupart du temps, sont dans l'idéologie, soit ils sont islamophobes, soit ils sont islamophiles...»

Ses prises de bec médiatisées vont jusqu'en haut lieu. Récemment, le premier ministre Manuel Valls, dans une diatribe contre le Front national, l'a accusé de «perdre les repères» des électeurs de gauche, ce pourquoi Onfray l'a traité publiquement de «crétin».

«Il y a une phrase qui a beaucoup compté, quand j'ai dit que je préférais une idée vraie d'Alain de Benoist à une idée fausse de Bernard-Henri Lévy, sachant que de Benoist passe pour le philosophe de la nouvelle droite et BHL pour celui de la gauche caviar, explique Onfray. Je me contente de dire que je préfère une idée juste à une idée fausse, peu importe si je suis de gauche. Je suis athée, je dis la même chose: je préfère une idée juste qui vient d'un croyant qu'une idée fausse qui viendrait d'un athée. Valls s'est emmêlé les pinceaux... Les gens en ont assez. Je dis que cette gauche ne me convient pas.» 

«Je ne fais pas une critique de droite de la gauche, mais une critique de gauche de la gauche, et plein de gens se retrouvent dans cette critique.»

Fondateur de l'Université populaire de Caen, Michel Onfray croit au savoir pour tous. Un savoir qui ne passe pas forcément par les bancs d'école, en fait. Cosmos, qu'il décrit lui-même comme un «cabinet de curiosités», s'ouvre sur un hommage à son père, un homme qui vivait dans un «temps virgilien», près de la nature. Le philosophe a écrit son essai après sa mort, et celle de sa compagne, «les deux personnes que j'aimais le plus au monde», dit-il.

Cette grande force

«La mort a toujours été un problème, ça se pense, ça s'apprivoise. C'est une question de philosophie. C'est une phrase de Cosmos: on ne fait pas son deuil, c'est le deuil qui nous fait. Parce qu'on continue à vivre ou on en finit. J'y ai songé, à accompagner ma compagne dans la mort, partir ensemble. Quand on ne le fait pas, on n'a plus vraiment de sens, on vit mécaniquement, machinalement, on est un jour devant l'autre, et on continue à vivre, mais pas de la même manière. Plein de choses nous paraissent accessoires. L'essentiel, c'est vraiment peu de choses. C'est la santé, les gens qu'on aime, et le reste paraît vraiment dérisoire, alors on a une espèce de grande force, parce que tout ce après quoi les gens courent, l'argent, les honneurs, la richesse, l'apparence, n'a aucune importance. Cette force, elle est transmise en quelque sorte par ceux qui sont partis, comme un cadeau.»

Hédoniste et athée, le philosophe, admirateur de Nietzsche, invite à une connaissance du monde qui puisse nous faire «vouloir ce qui nous veut» et, dans son essai, passe de son père à une apologie du vin, à un éloge des tziganes, à un long questionnement sur le mouvement végan, à une critique sur la morbidité des musées et, bien sûr, à une attaque contre les religions qui encombrent le ciel de mythes nous empêchant de voir le réel, pourtant fascinant, en grande partie par la science. Pour Onfray, «le monde est connaissable» et «la connaissance est architectonique du bonheur».

Et il faut bien choisir ses professeurs, ce qu'il souligne en écrivant que «le jardin est une bibliothèque quand trop peu de bibliothèques sont des jardins».

«Je pense qu'avant le monothéisme et l'écriture, avant qu'on ait la prétention de tout le savoir dans un seul livre - Talmud, Torah, Nouveau Testament ou Coran -, la vérité du monde n'était pas dans des livres qui disaient le monde, mais dans le monde. Il fallait regarder le monde. L'écriture et le monothéisme nous ont "cérébralisés" et on a perdu le contact avec la nature et le cosmos. Il faut garder dans les bibliothèques les livres qui arrivent au monde et mettre de côté ceux qui nous en éloignent.» Enfin, dit-il, « il vaut mieux une leçon de philosophie avec l'immensité du cosmos qu'une leçon de théologie avec le ciel étroit du christianisme!».

La fin de l'Occident

Paradoxalement, dans cette célébration du vivant, Michel Onfray aborde aussi le «temps mort» du nihilisme contemporain, et annonce que son prochain essai parlera de décadence et de la fin de notre civilisation.

«Quand une civilisation va bien, on a le sens du temps, on sait qu'on hérite d'un passé, qu'on fait le présent et on se projette dans le futur. Aujourd'hui, on est dans un instant pur, fabriqué par les télés, la radio, l'internet. Quand il y a tout le temps de l'information, il n'y a pas d'information, quand il y a tout le temps du neuf, il n'y a jamais du neuf.»

D'ailleurs, il n'a pas voulu avoir d'enfants. «Je pense qu'on peut célébrer le vivant sans pour autant considérer qu'on a le devoir de faire des enfants. Les enfants qui me ressembleraient, ce serait une catastrophe! Ce qu'on leur propose, c'est de mourir. Quand on aime la vie, peut-être qu'on se retient de faire des morts en sursis.»

Michel Onfray se considère comme un tragique, plus qu'un pessimiste. Il n'y a rien de neuf à l'idée de la fin. Il cite Sumer, Babylone, l'Égypte, la Grèce, Rome... «Je pense que notre civilisation judéo-chrétienne est en train de s'effondrer et que, comme la France a joué un rôle important dans cette civilisation, elle va s'effondrer en premier, quoi. On n'a plus les grandes figures, les grandes personnes, on a affaire à des maires de grandes villes, pas à des chefs d'État. On a l'impression que Hollande tient la France comme s'il était maire de Lyon. L'Occident, c'est terminé, donc c'est terminé pour nous aussi.»

N'est-ce pas un peu dur comme constat? «Ce n'est pas moi qui suis dur, c'est le monde qui l'est...»

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Cosmos. Michel Onfray. Flammarion, 533 pages.