À tout juste 39 ans, le Français Maxime Chattam publie son vingtième roman... en 13 ans! Vendus à plus de 4,5 millions d'exemplaires, traduits dans une quinzaine de langues, ses livres sont dévorés par les amateurs de thrillers et de romans policiers à l'américaine, où les technologies de pointe jouent souvent un rôle. Mais pas cette fois: Que ta volonté soit faite se déroule dans le Midwest américain, mais c'est avant tout un thriller psychologique sur l'Amérique rurale des années 50 et 60. Et sur le Mal.

Dans ce vingtième roman, il est notamment question du fanatisme religieux des pères - les pères de famille, mais aussi les prêtres à la tête de leur communauté respective... C'est un thème que vouliez aborder ou l'histoire commandait-elle ce thème?

Les deux. L'histoire de ce petit village paumé de l'Amérique pose la question de la construction d'un individu et celle de la figure paternelle, parce que ce roman est articulé autour d'une interrogation: est-ce qu'un enfant né dans le sang devient nécessaire sanguinaire? Est-ce parce qu'il a une enfance terrible qu'il va lui-même devenir quelqu'un de terrible? En fait, la question, c'est: est-ce que le mal est une sorte de virus qui peut se propager ou est-ce qu'il est inné chez certains? À partir de là, il fallait des communautés religieuses dans ce village, parce qu'il fallait que l'affrontement spirituel du village soit une forme de métaphore de l'affrontement spirituel chez un individu.

J'en ai parlé dans un de mes romans: je pense qu'il y a aujourd'hui, et particulièrement aux États-Unis, plus de tueurs en série parce que c'est l'incarnation du hiatus qui existe entre ce qu'est l'être humain et ce que la civilisation voudrait qu'il soit. Cette société qui passe son temps à vouloir simultanément corriger et tenter, elle passe son temps à tirer l'être humain dans les deux sens. Or, les êtres humains n'ont pas tous la même élasticité mentale, et il y en a certains chez qui ça se déchire.

Votre personnage de tueur en série laisse sur son passage des coquelicots. Pourquoi le coquelicot?

C'est une fleur éphémère: dès que vous la cueillez, elle meurt. C'est une métaphore forte de ce qu'est le viol. Et aussi, par sa forme et sa couleur, c'est une métaphore du sexe féminin. Tout cela exprime que ce sexe féminin, si on le cueille par la violence, meurt...

Vous allez à contre-courant de la «glamorisation» actuelle du tueur et du policier profileur: dans Que ta volonté soit faite, votre tueur est un type minable et le policier est un petit shérif. Pas de super tueur ni de super enquêteur, alors que vous avez souvent utilisé de tels personnages dans vos autres romans. Pourquoi?

Cela peut paraître paradoxal, je le sais. Mais je voulais prendre le contrepied de ce qui se fait, de ce que je fais. Ce livre n'est pas une apologie ou une ode à la violence, ni à l'enquête criminelle parfaite. C'est juste le portrait de deux hommes, qui incarnent le pire et le meilleur. Je voulais retourner à l'essentiel, l'être humain.

Et puis, par sa fin très particulière, que je n'avais encore jamais lue ailleurs, je voulais faire une forme de roman policier qui interpelle le lecteur sur son rôle justement en tant que lecteur. C'est un roman circulaire. Un peu comme les tableaux de M.C. Escher, vous voyez, avec ses escaliers infinis... Cela fait 15 ans que j'ai cette fin en tête et que je ne savais pas comment l'utiliser!

Vous avez souvent campé vos romans dans l'Oregon. Cette fois, pourquoi le Midwest des années 50 et 60?

D'abord pour être dans un temps d'avant les avancées technologiques. Mais aussi parce que je voulais un roman très fort en images. Or, les images les plus puissantes de l'Amérique sont souvent celles de sa ruralité dans les années 50 et 60, dans les livres, la peinture, la photographie... C'est très présent dans l'imaginaire collectif. Et puis, cette Amérique-là est un véritable bouillon de culture: ce sont les petits-fils des premiers pionniers qui sont là, venus de différents pays, de différentes religions, un véritable concentré de l'humanité: des Allemands, des Irlandais, des Scandinaves, des Anglais, des Amérindiens... Et c'est dur, violent.

Une question délicate pour finir: en janvier dernier, en Europe, la campagne publicitaire de votre livre était: «Réveillez l'envie de tuer qui est en vous». Et là survient le massacre à Charlie Hebdo et à l'épicerie casher Vincennes. Comment avez-vous réagi?

Ç'a été... compliqué. Cette publicité devenait évidemment difficile à assumer dans les circonstances, j'étais vraiment mal à l'aise. Mais en plus, j'étais en train d'écrire la dernière partie de mon prochain roman, qui parle de terrorisme, et qui relatait l'histoire de deux groupes terroristes qui prennent des otages dans deux sites différents à Paris et qui se couvrent mutuellement! Exactement ce qui s'est passé en janvier. J'étais effondré. Je ne pouvais pas publier ça, ça aurait été sordide... Je me suis donc retrouvé pendant plus d'un mois à ne plus savoir quoi faire. Un moment donné, je me suis dit que je gardais l'idée du terrorisme, parce que ça fait partie de notre ère et que je travaille depuis des années sur ce sujet, mais je vais devoir raconter une histoire tout à fait différente. J'ai donc réécrit complètement le roman. Je suis en train de le finir... Et il pose la même question que sa première version: et si le diable, le vrai, se cachait sous le visage de Dieu?

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Que ta volonté soit faite. Maxime Chattam. Albin Michel. 361 pages.