L'auteure de Baise-moi est devenue au fil des ans une écrivaine incontournable qui n'a pas perdu une once d'indignation et de pertinence. Son plus récent roman, Vernon Subutex, le confirme une fois de plus.

À 45 ans, Virginie Despentes est associée au courant trash de la littérature française. Bien des gens se souviennent d'elle pour son roman Baise-moi, et pour le film-événement qui a suivi.

Ceux qui croyaient qu'elle n'était qu'un feu de paille, un scandale en minijupe qui allait disparaître avec la prochaine polémique, se sont bien sûr trompés.

Depuis 20 ans, Virginie Despentes s'est imposée comme une voix qui compte, en France et ailleurs. Aujourd'hui, avec ce huitième roman (sans compter un essai, un recueil de nouvelles, des chansons...), elle fait partie de ces écrivaines dont on attend le prochain livre avec impatience.

Dans Vernon Subutex - un titre qui ressemble franchement au nom latin d'une plante ou d'une maladie -, Despentes nous décrit un Paris underground qu'elle a bien connu. Vernon est un disquaire qui décroche peu à peu du «système» après la fermeture de son commerce, lieu de rencontre d'une faune colorée.

Nous sommes les témoins impuissants de la chute de cet homme, vieux rocker sympathique, entre les mailles du filet social. Nous le voyons tranquillement s'enfoncer, malgré ceux et celles - ex-amoureuses, faux amis ou vieux copains - qui croisent son chemin. Il s'enfonce tranquillement dans l'univers parallèle des sans-abri, «en dehors» du système. Le contraste est parfois violent.

En filigrane des péripéties de ses personnages, Virgine Despentes nous livre une critique acerbe de la société actuelle: ce disquaire aurait très bien pu être boulanger, propriétaire d'un kiosque à journaux ou projectionniste dans une salle de cinéma du VIe arrondissement. C'est d'un monde que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître que Virginie Despentes nous parle, avec une certaine nostalgie des années d'avant, quand Facebook, Google et Apple ne contrôlaient pas encore nos vies.

Son regard extra-lucide et décapant sur la société n'est pas sans rappeler celui de Houellebecq, un véritable rayon X qui transperce les âmes et ne laisse aucune chance aux travers et aux faiblesses de ses semblables.

On dévore Vernon Subutex car il est écrit sous forme de thriller, mais au fond, cette course où tout le monde tente de retrouver une bande vidéo disparue n'est qu'un prétexte pour faire vivre une galerie de personnages fascinants, imparfaits, chiants, hystériques, mais en même temps tellement vrais et attachants. Car la lucidité de Virginie Despentes n'exclut pas l'empathie. Malgré sa plume parfois vitriolique et son jugement implacable, l'écrivaine éprouve visiblement de la tendresse pour ses antihéros. C'est en partie sa faune, elle ne la reniera pas.

Le regard d'une originale

Il faut dire que Virginie Despentes est elle-même un personnage. Hétéro devenue lesbienne il y a 10 ans - parce que c'est moins compliqué, dit-elle -, féministe à la plume enragée à défaut d'être engagée dans le mouvement, cette artiste punk a fait plein de petits boulots avant de gagner sa vie avec l'écriture. Tout le monde le sait, elle a été prostituée, mais pas que ça. Elle a aussi été femme de ménage, disquaire, vendeuse dans une librairie, critique de films porno... ces multiples expériences ont alimenté les récits dont elle accouche depuis 20 ans.

Ses expériences de vie ont également teinté son regard. Les apparences et l'hypocrisie n'ont aucune chance face à la plume de Despentes. Elle les détecte à des kilomètres à la ronde.

Mais ce qui distingue surtout cette écrivaine, sa marque de commerce si on veut, c'est l'énergie, la rage, la passion qu'on retrouve dans chacun de ses livres. Son écriture nous brasse, nous secoue. Il y a une scène dans Vernon Subutex qui n'est pas sans rappeler le récent épisode (rapporté dans nos pages) de cet homme mourant devant des usagers du métro indifférent. Face à cette espèce de torpeur qui nous engourdit au quotidien, l'écriture de Virginie Despentes essaie de nous reconnecter à notre humanité.

On retrouvait cette même rage - électrisante - dans King Kong Théorie, superbe essai féministe en forme de coup de poing publié en 2006, qui a été l'objet d«une adaptation théâtrale au «Off Avignon» en 2010.

Seul regret après avoir terminé Vernon Subutex: l'avoir lu trop vite. Il faut maintenant attendre le tome 2, dont la sortie est prévue dans quelques semaines en France, et le tome 3, qui doit paraître l'automne prochain. On a hâte.

Vernon Subutex 1

Virginie Despentes

Grasset

397 pages

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