Paris en état de siège, des bords de route jonchés de cadavres, des milices combattant pour des parcelles de territoire, Marseille à feu et à sang: voici le décor apocalyptique du nouveau roman de Jean Rolin.

Si dans Soumission, de Michel Houellebecq, la France est au bord de la guerre civile, elle y est plongée complètement dans Les événements, nouvel opus de l'ex-reporter de guerre devenu romancier.

«C'est une idée que j'avais depuis longtemps, confusément, dit l'auteur, en entrevue avec La Presse, à Paris. Que ça pourrait se passer aussi chez nous...»

Récit de voyage

Un gouvernement réfugié dans la petite île de Noirmoutier, à l'extrême ouest du pays, des communes désertées par les habitants, des camps de réfugiés, des vigiles de la FINUF (Force d'interposition des Nations unies pour la France), composée principalement de Finlandais et de Ghanéens, qui ne s'intéressent guère aux déboires de la France... Le pays des droits de l'homme semble, carrément, livré aux différentes factions qui se battent entre elles.

Mais s'arrête ici le récit de guerre. Certes, Jean Rolin raconte quelques combats et certaines scènes de désolation post-apocalypse. Mais Les événements, c'est surtout un récit de voyage, de Paris à Port-de-Bouc (tout au sud), en passant par la Sologne et l'Auvergne, à travers une France déchue, désertée ou chaotique, dans lequel l'auteur détaille, avec une minutie presque maladive, chaque cours d'eau, arbre, fleur, route secondaire au printemps, autant de symboles des saisons qui passent et de la nature qui continue sa progression malgré le conflit armé.

On ne sait rien de ce qui a mené la France à cette guerre civile (de «faible intensité», note l'auteur) ni pourquoi, ou pour qui, les différentes milices combattent.

«Il n'y a pas beaucoup de géopolitique, je ne voulais pas me lancer dans une politique-fiction», raconte Jean Rolin.

Ex-grand reporter, qui a couvert de nombreux conflits, l'auteur s'est inspiré de la guerre en ex-Yougoslavie et de ses séjours là-bas pour décrire les scènes de désolation qu'il transpose ici en France.

«J'ai été frappé par la proximité entre les deux pays. La Yougoslavie et la France sont deux pays qui se ressemblent beaucoup», dit-il.

Son livre ayant été écrit bien avant les attentats qui ont secoué la France en janvier dernier, l'auteur se défend bien d'y prédire un quelconque avenir, mais estime «possible» de voir son pays, un jour, sombrer dans une telle guerre civile.

«Même si des événements comme ceux-là se multiplient, et ils se multiplieront, je crois, comme à Copenhague ou à Bruxelles, je ne pense pas qu'on soit à la veille d'une guerre civile, tempère-t-il. Mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on avait l'habitude des conflits plus lointains, la guerre avait un caractère exotique. Culturellement, humainement, ça paraissait loin. Et là, tout d'un coup, c'est le retour des guerres à domicile, comme en Ukraine.»

«Je suis sûr que les Yougoslaves, deux ans avant la guerre, n'imaginaient pas ce qui allait arriver», ajoute-t-il.

Le souci du détail de Rolin ne s'arrête pas non plus aux paysages: il fait quelques clins d'oeil à des événements d'actualité - comme l'évasion en 2013 du militant islamiste Saïd Arif, disparu d'un hôtel de Brioude où il était en résidence surveillée -, mais aussi des rappels historiques, comme la visite du cosmonaute et héros soviétique Youri Gagarine à Port-de-Bouc, un minuscule village du sud de la France, en 1961, où il planta un arbre. Il décrit nombre de plaques commémoratives, aussi.

«J'ai voulu repérer dans l'itinéraire les traces des guerres précédentes. On a l'impression que c'est lointain, mais ce pays a aussi été dévasté par des guerres successives. Et ça ne fait pas si longtemps», explique l'auteur.

Malgré la trame de fond alarmiste, le ton est parfois léger, limite cynique, notamment lorsqu'il parle de l'AQBRI (Al-Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques). Mais il se défend bien d'avoir écrit un livre d'anticipation politique, contrairement, dit-il, à Soumission, de Michel Houellebecq, à qui il ne cesse d'être comparé, conséquence des thématiques similaires et d'une publication presque au même moment.

«Ce n'est pas comparable, même si lui aussi, son narrateur part de Paris vers le Sud-Ouest pour fuir la guerre civile. Mais ça dure trois pages, alors que moi, c'est tout le roman», conclut Jean Rolin.

«Par contre, j'aimerais bien avoir des ventes comparables», ajoute-t-il, sourire aux lèvres.

***

Les événements

Jean Rolin

P.O.L., 208 pages