À 22 ans, Mikella Nicol publie un premier roman dans lequel l'amitié fusionnelle entre deux jeunes filles devient un rempart contre les agressions du monde, dans un refus qui tient de l'absolu. Les filles bleues de l'été, ou la naissance d'une nouvelle voix à vif dans son sujet.

On dit souvent qu'il y a deux lignées d'écrivaines au Québec, l'une provenant de Gabrielle Roy, l'autre d'Anne Hébert. Sans aucun doute, Mikella Nicol est de la branche hébertienne, dans ce parti pris pour la poésie des mots soigneusement choisis qui laissent place à tous les mystères. D'ailleurs, le titre de son premier roman, Les filles bleues de l'été, est tiré du poème L'envers du monde du magistral recueil Le tombeau des rois. «J'aime la littérature du non-dit, confirme-t-elle. J'ai de l'admiration pour Marguerite Duras, Virginia Woolf, Suzanne Jacob, Salinger...»

Mais il faut dire aussi, pour régler la question dès le départ, que la pomme ne tombe jamais très loin du pommier. Mikella Nicol est la fille de l'écrivain et professeur de littérature Patrick Nicol (La notaire, Nous ne vieillirons pas, Les cheveux mouillés). «Il est un modèle depuis toujours, mais mon père m'a laissée choisir mon parcours et ne m'a jamais poussée dans cette voie-là. À un certain moment, j'ai essayé de résister, mais j'ai dû me l'avouer à moi-même que c'était mon chemin et je me suis inscrite au bac en littérature. Ça s'est imposé, je n'avais pas d'autres options.»

La littérature, donc, et un emploi de libraire pour payer les factures. Un projet de maîtrise en création littéraire à l'UQAM sous la direction de Martine Delvaux, puisque Mikella Nicol a une passion pour les écrits féministes. Et, déjà, un livre à 22 ans, publié à la nouvelle maison d'édition Le Cheval d'août. Mais, avant tout, au terme de cette première expérience de publication, la confirmation heureuse d'une intuition: la littérature, c'est du boulot.

«Mon père m'a toujours présenté la littérature comme un travail, et pour moi, ça n'a jamais été différent d'un autre métier. De savoir que j'allais être publiée, j'étais déjà comblée, même si, comme libraire, je vois bien le destin des premiers romans.» La foi nécessaire de ces littéraires précoces, mordus pour toujours, qui font notre littérature, en somme...

Amitié féminine

En lisant Les filles bleues de l'été, nous retrouvons ce désir d'abandon à l'aube de la vie, cette envie de prendre sa retraite avant même de se lancer dans le monde. On a tendance à oublier que la voie de tous les possibles qu'on imagine être le lot de la jeunesse n'est pas forcément une évidence et que le poids de l'avenir peut être écrasant pour celles qui n'arrivent pas à se fondre dans leur propre existence.

C'est le cas de Chloé et Clara, qui retournent à la maison de campagne de leur enfance pour panser leurs plaies, mais aussi pour se créer un univers bien à elles, dans la sauvagerie de la nature qui les accueille telles qu'elles sont vraiment, loin du regard pesant des autres. L'une est couverte de cicatrices qu'elle s'inflige, l'autre vit un chagrin d'amour, mais ensemble, elles se protègent des agressions extérieures et s'oublient l'une dans l'autre, dans une amitié fusionnelle, voire passionnelle, caractéristique de la jeunesse. Dans l'alternance de leurs voix, nous finissons par les confondre.

«Je trouve qu'on ne parle pas assez de l'amitié féminine en littérature. C'est plus important que l'amour jusqu'à un certain point.»

«C'est une sorte d'amitié que je n'ai jamais vécue, compter sur une seule personne, mais je trouvais intéressant d'en parler, dit Mikella Nicol. Même si c'est une amitié malsaine, au fond.»

Car oui, Chloé et Clara s'entretiennent mutuellement dans leur refus et leur refuge à la campagne, jusqu'à la fuite ultime. «C'est ce qui me touche dans ces personnages, cette espèce de constat que c'est déjà trop. Elles n'ont aucun recul sur ce qui leur arrive, leur histoire est la fin du monde. C'est très candide et immature comme pensée, mais il y a quelque chose dans les émotions de la vingtaine qui est tellement intense. L'intensité des émotions, c'est ce que je veux qu'on retienne. C'était important pour moi de démontrer cette espèce d'absolu auquel on croit à cet âge.»

Au fond, Chloé et Clara sont en quelque sorte les facettes d'une dualité intérieure entre la vie et la mort qui se reflète aussi extérieurement dans cette opposition entre la ville et la nature. «J'ai été inspirée par les émotions qui sont trop grandes pour les mots. J'ai eu envie de donner une voix à cette partie de moi qui n'est pas capable de faire face.»

La littérature comme refus, comme refuge, mais aussi comme entrée dans le monde: c'est un peu cela, être écrivain. Ce que Mikella Nicol est, assurément, lorsqu'elle conclut en disant: «J'espère toujours ressentir l'urgence d'écrire.»

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Les filles bleues de l'été. Mikella Nicol. Le cheval d'août. 122 pages.

Les filles bleues de l'été