Du coeur à l'établi, premier roman de Michel-Olivier Gasse, figurait dans notre liste des meilleurs livres québécois 2013. Louis-José Houde lui avait ensuite consacré toute une chronique enthousiaste. Cette fois, avec De Rose à Rosa, Gasse propose une série de récits sur les habitants de deux ruelles de Villeray. Sujet banal? Non, fondamental. Et écriture à l'avenant.

Les «piliers de ruelle»: c'est ainsi que Michel-Olivier Gasse désigne bellement tous ces êtres humains souvent anonymes, anodins ou insignifiants, qui deviennent pourtant incroyablement colorés et vivants pour peu qu'on y prête attention, sur le balcon d'à côté ou le bloc d'en face. D'ailleurs, pas besoin de vivre à Montréal et ses ruelles pour connaître ce microcosme: le mot «voisin» existe depuis le XIIe siècle, et, à moins de vivre dans le fin fond d'un rang, on en a tous au moins un...

Les voisins de Michel-Olivier Gasse vivent à proximité de l'autoroute 40, font pousser un jardin ou étendent leurs vêtements sur la corde, vont chez le dépanneur ou nulle part. Gasse, lui, décrit l'installation d'une corde à linge ou la tonte du gazon ou le pelletage de la neige de telle manière que cela devient intéressant, révélateur, parfois touchant, pas nécessairement drôle, pas non plus tragique, juste humain.

C'est ainsi que Rose, Rosa, Ti-Pounch et tous les autres - y compris des «voisins» qui ne vivent plus dans les environs, mais qui ont laissé derrière eux des traces, des photos, des objets... - deviennent des personnages, magnifiés parce que Gasse les regarde, leur parle, puis les raconte, souvent dans des dialogues qui sonnent juste. «J'espère que personne ne leur dira que j'écris à leur propos, dit Michel-Olivier Gasse, moi, ça me fait plaisir que Rosa ne connaisse mon prénom que depuis un mois, même si on se croise dans la ruelle depuis plus d'une année...»

Prendre le temps

«Mais pour les voir, tous ces gens-là, il faut prendre le temps, explique le natif de Gaspésie avec un beau sourire. Et ce n'est pas tout d'avoir un regard. Il faut aussi "s'assir", un moment donné!», précise-t-il, signifiant par là que l'écriture demande elle aussi du temps.

Or, du temps, Gasse en a assez souvent: il est le bassiste de Vincent Vallières (qui signe la préface de De Rose à Rosa), de Dany Placard et de Chantal Archambault, et il dirige son propre groupe, Caloon Saloon. Quand il n'est pas en tournée, il est donc chez lui, dans son appartement loué dans Villeray. Et il regarde. Et il voit. Et il écrit. «Et j'interagis, souligne-t-il. Je vis avec tout ce monde-là, j'en fais partie, Rosa vient vraiment cogner à ma porte. Dans les ruelles, il y a ceux qui ont une clôture tout le tour. Et ceux qui n'en ont pas. Moi, y en a pas. Alors, tout ce qui se produit dans la ruelle, j'en suis.»

La ruelle orale

«Quand j'étais au secondaire et que j'écrivais sur un carnet des trucs, il y avait toujours des gars pour me niaiser, reprend-il. Ça m'a pris un peu de temps pour me défaire de ça. Sais-tu d'où est venu le déclic pour moi? En finissant de lire Crucifixion en rose de Miller. Tu sais, à la fin de Nexus, quand Miller raconte son arrivée à Paris et qu'il décide que, oui, il va écrire Tropique du Cancer? Moi, je me suis dit que j'allais écrire toutes ces histoires que je raconte dans les "vans" de tournée depuis des années. Et j'ai écrit environ 150 pages.»

«Au début, ça me prenait des rideaux fermés, des chandelles, du silence, mais à la fin, je pouvais écrire avec ma blonde à côté qui faisait ses affaires, pas de problème! Alors, j'ai continué...»

Cela a d'abord donné Du coeur à l'établi, inspiré d'une histoire survenue à un de ses amis cyclistes, poursuivi un jour par un conducteur automobile fou: «Je n'avais pas envie de faire dans l'autofiction.» En parallèle, Gasse tenait un blogue sur le site Voir.ca, où il relatait la vie de sa ruelle. D'où est finalement tiré De Rose à Rosa.

«Tous ces textes-là sont nés de l'oral, explique-t-il, je les raconte encore et encore aux autres musiciens, en tournée. C'est pour cela que je les ai remerciés au lancement du livre: c'est eux qui m'ont permis de travailler à voix haute mes textes; plus je raconte mes histoires, plus je trouve mes points forts, mes comparaisons, mes figures de style, la montée dramatique... C'est comme si je pouvais répéter mon récit avant de l'écrire. Avec fluidité.»

Et avec intemporalité: les événements politiques et sociaux passent, la ruelle reste. «C'est vrai, et c'est parce que je veux en faire quelque chose d'important. Parce que tout le monde est un sujet possible. Et puis, écrire, c'est mon seul projet solo...»

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De Rose à Rosa. Michel-Olivier Gasse. Tête première. 288 pages.