Rima Elkouri a sûrement une des plus belles plumes du journalisme écrit. Celle qui est devenue chroniqueuse en septembre 2001 publie ces jours-ci Pas envie d'être arabe, recueil d'une centaine de ses textes qui porte le titre de sa toute première chronique publiée dans La Presse, le 12 septembre 2001. L'occasion d'apprécier à sa juste valeur son écriture limpide, et de s'entretenir avec elle sur son métier de raconteuse.

Connaissant ta discrétion, l'idée de ce recueil n'est sûrement pas venue de toi...

Non, même que si je pouvais ne pas aller au lancement, ça ne me dérangerait pas... Je ne l'aurais pas proposé moi-même, c'est l'éditeur Serge Théroux qui m'a plusieurs fois approchée en me disant qu'il mettait mes chroniques de côté depuis plusieurs années et que ça ferait un bon livre. Je n'étais pas convaincue que c'était une bonne idée, mais à la fin, il est revenu à la charge carrément avec une enveloppe de textes déjà choisis. C'est une offre que je ne pouvais pas refuser.

Pourquoi hésitais-tu?

La chronique est par essence éphémère, et je ne voyais pas en quoi un texte collé à l'actualité pouvait être intéressant cinq ou dix ans plus tard. Et puis, comme tout chroniqueur, on est les critiques les plus sévères de notre propre travail, alors très souvent je ne suis pas vraiment satisfaite de la version finale dans le journal. Celles qui sont dans le livre sont les moins pires... celles que j'assume. J'ai élagué, enlevé beaucoup de textes, et écrit des petites intros qui m'ont permis de faire un bilan de presque 15 ans de chroniques.

Tu trouves que tu t'es améliorée, que ta manière d'écrire a changé?

C'est sûr que j'ai gagné en expérience et en efficacité dans l'écriture. Mais je doute beaucoup, comme tout bon journaliste, et j'ai les mêmes doutes à chaque chronique. Ce n'est pas parce que tu en as écrit 100 ou 1000 avant que c'est plus facile. Chaque fois, j'ai un petit vertige, je me demande si je vais y arriver.

Tu travailles beaucoup tes textes?

J'écris très lentement, ce qui est paradoxal quand on travaille dans un quotidien. Je me relis des milliers de fois, je suis un peu maniaque de l'écriture, car c'est vraiment l'écriture qui finit par donner une forme à la pensée. Pour moi, c'est fondamental, ce n'est pas un détail: une idée est intéressante si on arrive à bien l'écrire simplement.

C'est vrai qu'il y a une grande simplicité dans tes textes, qu'il y a peu d'adverbes, même d'adjectifs...

Je n'aime pas beaucoup les adverbes! C'est une simplicité pour laquelle il faut travailler fort. D'emblée, c'est plus simple de faire compliqué. Il faut repasser, épurer, charcuter, enlever tout ce qui n'est pas essentiel.

Le livre est séparé en quatre thèmes: «moi», «nous», «eux» et les «grands reportages». C'est un choix qui te ressemble?

Oui. On remarquera d'ailleurs que la section «moi» est la plus mince. La chronique a beau être un exercice très personnel, je suis restée profondément journaliste dans mon approche, dans le sens où le sujet au départ n'est pas moi mais l'autre, la rencontre avec l'autre. Donc ça paraît dans la distribution des chapitres. Les sections «nous», sur les sujets de société, et «eux», où je raconte des histoires de gens ordinaires, sont plus vastes. Tout comme celle des «grands reportages», qui sont les expériences les plus intenses dans une vie de journaliste. On ne les a pas tous mis, seulement les plus marquants ou ceux qui ne sont pas complètement périmés. D'ailleurs, j'ai fait un reportage en 2000 sur le conflit israélo-palestinien et en le relisant, je me disais que, malheureusement, les mêmes textes auraient pu être écrits maintenant...

L'histoire bégaie en effet, on le constate en parcourant ton livre. C'est troublant?

Oui, de voir que les humains ne tirent pas de leçons du passé. Mais pour ne pas à céder à la déprime et au pessimisme, c'est important pour moi de raconter des histoires qui finissent bien, de gens qui réussissent à faire bouger les choses, qui ont du courage, dont on n'entend pas nécessairement parler mais qui réconcilient avec l'humanité.



Considères-tu que tu as du pouvoir?

Je considère qu'avoir une tribune dans un journal est un grand privilège, mais c'est rare qu'une chronique puisse faire changer les choses. Mon pouvoir est celui d'être témoin, de raconter. C'est un privilège et une responsabilité en même temps. Alors il faut en prendre soin, et ne pas en abuser.

Tu te vois d'abord comme une raconteuse d'histoires?

Oui, c'est ça. Des histoires vraies! Le rôle de chroniqueur est de réfléchir, partager, susciter le débat, dénoncer, être à l'écoute et dire les choses. Il faut beaucoup d'humilité pour faire ce métier. Peu de chroniques sont écrites dans le confort de mon bureau, assise à mon ordi sans parler à personne.

Quand tu vois ce livre de 450 pages, quel effet ça te fait?

Un petit vertige, quand même. C'est la première fois que je publie un livre. J'ai vraiment le sentiment d'être très chanceuse d'avoir eu ce privilège de devenir chroniqueuse à La Presse et de pouvoir écrire en toute liberté. Je le vois comme une grande chance.

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Pas envie d'être arabe. Rima Elkouri. Éditions Somme toute, 448 pages.