Les marquises de verre qui surplombent les trottoirs de la Plaza St-Hubert ont inspiré les rires, les quolibets, les appels à la destruction massive - mais aussi Jérôme Minière. Oui, le Jérôme Minière de la chanson pop-électro de qualité, Félix de l'auteur-compositeur 2003, devient auteur tout court et publie L'enfance de l'art, un roman campé sur la fameuse Plaza, avec ses pigeons et ses boutiques: méfiez-vous des magasins apparemment abandonnés.

Allez, on se permet un mauvais jeu de mots: Jérôme Minière a toujours eu plus d'une corde à sa harpe! Celle du romancier vibre ces jours-ci, à côté de celles d'auteur-compositeur, de musicien électro, de réalisateur d'albums.

Surprenant? Pas si on retourne à la source, à savoir les études en cinéma de Minière quand il avait 18 ans et qu'il vivait encore en France: «J'étais convaincu à l'époque d'être Xavier Dolan, explique le chanteur. J'étudiais en cinéma, avec une spécialité en scénarisation. Mais pour devenir cinéaste, il faut plus que des scénarios, et j'ai réalisé, à un moment donné, que je n'avais pas ce qu'il fallait pour être capitaine de bateau, que je n'avais pas les capacités de réaliser, littéralement, les scénarios que j'écrivais.»

Minière a alors la mi-vingtaine et ressent un véritable dépit amoureux en constatant que le cinéma ne lui convient pas. Il délaisse donc le septième art et part pour Montréal, où il s'installera et deviendra auteur-compositeur-interprète. Avec disques, spectacles, trophées Félix et plus, car affinités.

Identités multiples

«Il y a une quinzaine d'années, reprend Jérôme Minière, ma fille est née, et comme tous les parents, je me suis mis à sortir moins et à lire plus, à retrouver les plaisirs des mots sur une page. Peu à peu, le goût d'écrire m'est revenu.»

Minière a ainsi accumulé dans ses carnets quelques «petites histoires», écrit une nouvelle publiée dans la revue Liberté en 2000, conçu un spectacle de spoken word avec des embryons de nouvelles en 2008, élaboré des ébauches de scénarios inspirés par son alter ego fictif, Herri Kopter (Minière a réalisé à ce jour trois albums sous le pseudonyme d'Herri Kopter).

Peu à peu, des récits sont donc nés. Mais aussi l'idée d'un «récit parent» qui intégrerait, porterait tous ces courts récits. Et c'est ainsi que, pendant deux ans, Minière a écrit un roman, son premier, «comme quelqu'un qui fait son jogging, à raison d'une heure par jour».

Baptisé L'enfance de l'art, le livre suit Benoit Jacquemin, employé de banque méticuleux, homosexuel heureux en amour, homme «ordinaire» et «moyen», qui, un jour, trouve un microfilm attaché à la patte d'un pigeon devant un magasin «chinois» sur la Plaza St-Hubert.

À partir de là, Jacquemin va plonger dans un monde parallèle pas mal moins «ordinaire». Dans une enfilade de pièces étranges dissimulées derrière une vitrine commerciale quelconque, il entrera en contact avec de sensuelles légendes inventées de toutes pièces, des contes contemporains poétiques, des textes inédits de Réjean Ducharme(!), un mentor inquiétant. Il y sera également question de Bob Dylan, de Fernando Pessoa, de Monty Cantsin - autant de «mythes vivants» qui ont multiplié les identités et les hétéronymes.

«Ça peut sembler hétéroclite, toutes ces histoires imbriquées dans le cours du roman, dit l'auteur de 42 ans, mais je ne voulais absolument pas tomber dans l'autofiction. Alors, j'ai écrit un peu comme je compose de la musique: les microrécits sont comme des échantillonnages, constitués d'impressions, de souvenirs accumulés, de rêves que j'ai faits, d'articles qui m'ont marqué. J'ai ensuite fait un mixage de tout cela, ce qui donne un roman assez ouvert. Cela m'a permis d'avoir parfois une écriture sans esbroufe ni flafla quand c'est Benoit Jacquemin qui s'exprime, parfois un style plus fabuliste ou poétique ou tout à fait différent quand on tombe dans un microrécit.»

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L'enfance de l'art. Jérôme Minière. Quai no 5/éditions XYZ, 312 pages.