Dans Juste une fois, la Québécoise Hannah, dégoûtée de la passion, s'apprête à épouser un homme très bien, qui ne fait toutefois pas battre son coeur. Le hasard place sur sa route - ou plutôt sur les bords du lac Masson - son beau-frère César. César qui, 15 ans plus tôt, à New York, lui a dit: «Puisque notre histoire est impossible, j'aimerais que nous nous aimions juste une fois.» Dans ces circonstances, peut-on demeurer «retirée des passions», pour reprendre une expression chère à l'écrivain Alexandre Jardin?

C'est à partir de cette situation que l'auteur de 49 ans a construit son nouveau roman, avec une kyrielle de personnages secondaires hauts en couleur, une myriade de revirements de situation et des dialogues en québécois tout ce qu'il y a de plus parfaitement... québécois! Car c'est dans le Québec des bords de lacs, l'été, que se déroule la majeure partie de ce livre romanesque au possible. Nous avons demandé à Alexandre Jardin de nous parler de certains aspects de cet étonnant «roman québécois» écrit par un auteur français et lancé en primeur au Québec.

Sur le Québec

«C'est vrai que je connais le Québec surtout l'été. Et l'été au Québec, ce n'est pas une saison, c'est une fête! Par ailleurs, je trouve que le naturel québécois est très porté à la passion, vraiment: je n'ai jamais rencontré de Québécois qui soient retirés des passions!

«Écrire cette histoire de femme qui n'y croit plus, en plein Québec, c'était donc dix fois plus explosif et violent que si le roman s'était déroulé en France, où le cynisme se porte bien. Ce que vit Hannah, c'est une authentique tragédie, mais dans une atmosphère de franche gaieté!

«Et puis, écrire un roman d'amour fou dans un monde québécois, c'est écrire dans un monde qui a accès à ses émotions, beaucoup plus qu'en Europe. Une amie française m'a fait un gentil compliment après avoir terminé le livre. Elle m'a dit: «Mais tout le monde va vouloir filer là-bas, au lac Masson!»»

Sur le romanesque

«Les femmes, ça s'attrape par les oreilles! Les femmes sont beaucoup plus des êtres de roman, et c'est magnifique. Les hommes qui ne sont pas les romanciers de leur amour perdent toujours. C'est pour cela que le véritable héros de Juste une fois, c'est la fille, c'est Hannah, mais aussi Kiki, Louise... Parce qu'à partir du moment où César dit à Hannah: «Aimons-nous juste une fois et tu choisis le moment», comme c'est une femme, elle va produire beaucoup plus de texte! D'interprétation! Elle va tout analyser.

«Et ses contradictions forment la trame même du roman. Il y a une phrase que j'aime beaucoup de Balzac, que citait tout le temps Simenon: «Un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue qui va au bout de soi.» Eh bien, Hannah va aller au bout de soi...»

Sur l'éblouissement

«M'obsède une question toute simple: que faire d'un éblouissement quand on a une jolie vie de couple? Où est-ce qu'on se le fiche, l'amour fou? Est-ce qu'on l'éteint? Le roman propose une trame: le vivre «juste une fois». Ce qui est un jeu terrible. Parce qu'en réalité, une fois qu'on a mis le pied dedans, on ne sait pas très bien comment en sortir...

«Je ne suis pas en train de dire que ce n'est pas fondamental, une vie de couple. Mais il n'est pas possible de claquer la porte à l'éblouissement! Parce qu'on claque la porte à la vie. Et qu'on le sait bien au fond.»

Sur l'écriture en québécois

«Ça fait des années que je vis une partie de l'été au Québec, et je savais qu'un jour, j'écrirais un roman québécois. Du coup, il fallait à tout prix que les dialogues soient en québécois. J'avais des kilos de notes, prises depuis des années. Or, il y a plein de langues québécoises. Une des principales difficultés techniques que j'ai eues, d'ailleurs, c'était d'arriver à être juste dans les dialogues en fonction des milieux sociaux des gens. Pour m'aider, j'ai demandé à des amis québécois [NDLR: dont Marie Saint Pierre, Benoît Brière, Guy Crevier...] de lire et relire mon texte.

«Et puis, à travers tous ces dialogues québécois, il fallait que j'arrive à tourner le texte de manière à ce qu'il m'appartienne quand même: c'est dans le corps de la narration, qui est écrit par un Français!»

Sur l'écriture aujourd'hui

Le roman tient compte de quelque chose d'absolument capital: il y a eu une gigantesque révolution narrative avec l'irruption des très, très grandes séries télévisées, les House of Cards et compagnie. Qui reprennent les grands mécanismes du roman populaire du XIXe siècle.

«Je ne crois pas qu'on puisse écrire un roman en 2014 de la même manière que j'écrivais Le Zèbre (en 1988). D'où la cascade de retournements en cours de récit! C'était très excitant, construire un roman avec ces mécanismes. Même si, par moments, j'en ai beaucoup voulu à mes personnages: à force d'avoir des contradictions et des hésitations, ils m'exaspéraient!»

Sur un personnage nommé Alexandre Jardin

«C'est vrai, il y a un personnage secondaire d'écrivain, qui s'appelle Alexandre Jardin, et il se fout de toute cette histoire! Lui, il est bloqué avec ses histoires de famille en France. Il est dans le décalage, horaire et émotif, il est en train d'essayer d'écrire Des gens très bien (paru en 2011). Très sincèrement, à ce moment-là de ma vie, j'étais si accaparé par ces problèmes de famille que j'avais complètement oublié à quel point j'étais né pour l'amour! Je me croyais vraiment, moi aussi, retiré des passions...

«J'assume, par toutes mes fibres, mon besoin de rêver. Et je tiens vraiment pour des handicapés complets ceux qui se refusent à ça. En se défendant de ça, ils s'interdisent un rêve amoureux qui est prodigieusement revitalisant. Et qui permet, vraiment, de vivre!»

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Juste une fois. Alexandre Jardin. Grasset, 238 pages.

Extraits

- J'crois que côté coeur, j'suis vierge! s'écria Kiki. Si la proposition new-yorkaise de César passe à travers les années, j'tourne romantique. Ça me donnerait ben de l'espoir. Y croire encore, je veux...

- T'es-tu devenue folle pour dire des niaiseries pareilles? répliqua Hannah éberluée. Oublie ça! L'amour qui brasse comme dans les contes, tu serais mieux d'oublier ça! L'amour avec les vrais hommes, ça marche pas de même.

- Ben voyons donc! C'est-tu possible que tu croies ça?

- Oui Kiki, j'en suis rendue là. Et je suis à peu près certaine que César a complètement oublié cette scène ridicule en haut du World Trade, dont j'aurais jamais dû parler.

- Pourquoi «ridicule»? reprit Kiki. C'est une très belle scène! On en voudrait toutes une de même!

- Ben pas moi.

- Maudite chanceuse!

- Pendant des années, cette petite scène m'a séparée de ma soeur. J'ai plus été capable d'aller voir Sarah en Europe par peur de croiser son regard. Ce gars-là, sa conduite m'a faite un gros préjudice dans l'esprit de famille!

- Baise-le Hannah! Juste une fois... C'est quand même une belle pièce d'homme!