C'est un beau lundi de l'automne austral, avec une lumière dorée qui transperce les arbres à moitié dénudés du Cap-Occidental. Dans la rue principale de la coquette ville universitaire de Stellenbosch, où Deon Meyer a donné rendez-vous à La Presse, on se croirait presque en Estrie à la fin du mois de septembre. Le romancier vient d'y élire domicile, ayant quitté l'effervescence du Cap et de ses townships pour la tranquillité de la région vinicole.

«Tous les sept ans, j'ai besoin de déménager!», partage l'attachant colosse barbu, à la tête de motard tranquille, qui se pointe sur la terrasse du café en compagnie de Marianne, une belle blonde élancée qu'il nous présente comme sa «partenaire de vie».

Deon Meyer est la preuve vivante du dicton voulant que «le journalisme mène à tout, à condition d'en sortir». Avec une dizaine de polars écrits en afrikaans et traduits en 28 langues, des livres de recettes, un série télé inspirée par sa fiction et bientôt, la parution d'un ouvrage sur la motocyclette «hors-piste», cet ex-journaliste qui s'est lancé dans l'écriture de thrillers, au début des années 90, est un prolifique ambassadeur de la culture populaire sud-africaine. Il est le fan numéro un de l'équipe de rugby nationale, les Springboks, vante le passage réussi à la démocratie multiculturelle du pays de Mandela et affirme que les conditions de vie de ses concitoyens se sont grandement améliorées depuis 20 ans. À sa nation arc-en-ciel si meurtrie par la brutalité de l'apartheid, il voue un amour inconditionnel.

En juillet prochain paraîtra en anglais Cobra, son neuvième roman policier, dans lequel le héros Benny Griessel a affaire à un assassin coriace, qui a laissé derrière les corps de ses victimes dans une chic auberge de la vallée vinicole de Franschhoek. Encore une fois, son environnement capetonien est dépeint au fil d'intrigues entremêlant la bureaucratie sud-africaine, les démons intérieurs de Griessel et le crime organisé. Les vallons du Cap-Occidental, la gastronomie afrikaner, les échanges en Xhosa avec la police et autres couleurs typiques du pays de Mandela y seront bien sûr dépeints avec précision.

«Mes romans demandent une grande part de recherche, par respect pour mes lecteurs. S'assurer de la précision des faits, c'est la moindre des choses qu'un auteur peut faire. J'en attendrais autant d'un roman de Michael Connolly qui, par exemple, aurait comme toile de fond la Californie.»

Le thriller Pistorius

Plus d'un an après cette sanglante soirée de la Saint-Valentin 2013 où Reeva Steenkamp a été abattue dans les toilettes du domicile d'Oscar Pistorius, le procès du Blade Runner défraie toujours les manchettes, en Afrique du Sud comme partout sur la planète.

Pour Deon Meyer, si l'affaire Pistorius dit quelque chose sur la criminalité en Afrique du Sud, c'est que «nous avons un système judiciaire qui fonctionne très bien». Soit. Mais pourquoi une telle obsession pour la violence, quand il est question de ce pays? «Le crime est souvent politisé en Afrique du Sud. Les médias s'en servent pour attaquer l'ANC. Mais en analysant objectivement les statistiques, on se rend compte que notre taux de criminalité est ni plus ni moins normal, pour un pays en développement.»

Deon Meyer se dit engagé politiquement et socialement, mais assure ne jamais passer de messages politiques dans ses polars. «Mon but premier est de divertir», tranche-t-il. Ce qui ne l'empêche pas d'emprunter à la réalité pour construire ses intrigues.

«Je parle à la police le plus souvent possible. Et ces jours-ci, je m'intéresse à la façon dont le cas d'Oscar Pistorius influence leur travail. Dans le nouveau roman que je suis en train d'écrire, il y a plusieurs références à Pistorius, tout simplement parce que ça fait désormais partie du nouveau cadre de référence de la police sud-africaine.»

Le romancier reconnaît que son passage à l'écriture de fiction, au début des années 90, n'a rien d'une coïncidence. «Je n'aurais pas pu écrire mes romans librement, à l'époque de l'apartheid, ils auraient été bannis. De toute façon, comment aurais-je pu prendre comme héros des personnages de policiers, alors que pendant l'apartheid, la police faisait justement partie de ce régime brutal?»

L'éclosion

Mais quand l'apartheid est tombé, tout a changé. Et la liberté a donné des ailes à Deon Meyer, issu du prolétariat afrikaner, qui a pourtant dû patienter plusieurs années avant d'être lu par ses compatriotes.

«Pendant six ou sept ans, j'ai eu beaucoup plus de succès en France qu'ici, en Afrique du Sud, où le roman policier a longtemps été considéré comme un sous-genre lu par les gens stupides, par les Afrikaners sophistiqués qui n'apprécient que la "grande"littérature. Mais lorsque les Français m'ont décerné le Grand prix de littérature policière, les critiques sud-africaines ont commencé à se montrer plus positives.»

Bien installé dans le club sélect des auteurs comme Stieg Larsson, Kathy Reich ou Michael Connolly, Deon Meyer compte sur la loyauté de lecteurs fidèles partout dans le monde. Mais à la vie de romancier globe-trotter qui va de festivals littéraires en tournées promotionnelles, il préfère de loin son existence paisible, à Stellenbosch, où il arrive à maintenir un rythme d'environ un roman par année.

«Pour rien au monde, je ne voudrais vivre ailleurs et écrire sur un autre endroit que l'Afrique du Sud, qui est de loin la société la plus intéressante au monde. Notre histoire est incroyablement riche du meilleur et du pire. Nous sommes devenus si dynamiques et intéressants, comme pays. En terme de société civile, je trouve le reste du monde très ennuyant, en comparaison à l'Afrique du Sud.»