D'un côté, un sénateur omnipotent, cruel et tyrannique. De l'autre, un prophète autoproclamé fou du feu et sanguinaire. Entre eux, des enfants, des hommes et des femmes qui tentent de survivre dans une prison urbaine, une cité sans issue dans laquelle un peuple meurt en tout anonymat. Et pourtant, malgré cette sombre prémisse, l'espoir habite ce Feu de Jean-François Sénéchal, roman «pour grands ados» sorti en mars chez Leméac, mais sur lequel il vaut la peine de revenir.

Les aventures que vivront les personnages relèvent de l'urgence d'agir avant qu'il ne soit trop tard, pris entre deux feux dans un monde qui ne veut plus d'eux. Sans solidarité, ils sont inévitablement condamnés à échouer dans leur quête de survie.

Ian, un jeune homme désoeuvré dont la soeur meurt dès les premières pages du roman, prend sur lui le rôle de grand frère pour une panoplie d'autres enfants. «Tout l'espoir repose sur cette possibilité d'entrer en contact avec l'autre et d'établir quelque chose de vrai sur une base amicale qui n'est pas de l'ordre de la confrontation», raconte Jean-François Sénéchal, dont c'est le troisième roman.

Au milieu du chaos, la solidarité de cette fratrie regroupée autour d'Ian devient une force. «Si on perd ça, il n'y a plus grand-chose, on devient un animal», avance Jean-François Sénéchal.

L'ombre de l'Histoire

La Cité, presque un personnage en soi, sème sans arrêt des embûches à ceux qui y évoluent dans un décor dystopique rappelant par moments les ghettos polonais de la Seconde Guerre mondiale.

«J'avais le désir d'établir un dialogue avec l'Histoire. Établir des ponts, des parallèles, une réflexion sur des situations de l'extrême d'hier, mais aussi des choses qui nous préoccupent aujourd'hui encore. Il y a la question du mur, qui est centrale dans l'oeuvre, qu'on peut retrouver encore dans différents contextes politiques», confie l'auteur. On y retrouve aussi l'ombre d'un médecin polonais mort dans un camp de concentration avec les orphelins juifs qu'il a protégés jusqu'à la toute fin, même s'il aurait pu s'en sortir lui-même vivant. Janusz Korczak n'est jamais nommé explicitement dans le récit, mais il est à la base de l'histoire, comme en témoigne Jean-François Sénéchal.

«Je formule ce récit comme un roman humaniste, avec l'idée du souci de l'autre, de la responsabilité envers l'autre. Ian ne formule jamais ce souci, mais on le devine très bien dans ses actions. C'est ce même souci qui se retrouvait beaucoup chez Janusz Korczak», soutient-il.

Les émeutes qui ont agité plus récemment des pays comme la France et l'Angleterre ont aussi inspiré l'auteur, elles qui sont omniprésentes dans la première partie du roman. «J'avais projeté dans le futur cette situation, je l'ai décuplée pour voir ce que ça pouvait donner», résume-t-il.

À coup de bombes incendiaires, de saccages et de ripostes armées, cette violence est loin d'être un terrain de jeu propice pour les jeunes héros. «Ce qui m'intéressait beaucoup, c'était la vulnérabilité des enfants. Souvent, avec des personnages plus vieux, on peut cacher cette vulnérabilité ou la mettre derrière une façade», soutient M. Sénéchal.

Comme un scénario en prose

L'écriture du romancier de 38 ans frappe, happe, atteint son but. La langue est maniée avec précision, tout en restant accessible pour le jeune lecteur à qui elle s'adresse. «Je ne l'ai pas écrit comme un roman jeunesse. Je l'ai écrit avec des personnages jeunesse, mais avec des préoccupations qui sont les miennes, avec une sensibilité qui est la mienne.»

Le récit est construit comme un véritable scénario de film, un canevas où l'action des protagonistes fait foi de tout. Le rythme est serré, rapide. Certains chapitres ne prennent même pas deux pages, les plus longs, à peine une dizaine bien tassées. «Je voyais un récit court et très intense. C'était la façon dont je l'ai conçu au départ», explique Jean-François Sénéchal.

Effectivement, le qualificatif «intense» s'applique à merveille.

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FEU. JEAN-FRANÇOIS SÉNÉCHAL. LEMÉAC JEUNESSE, 236 PAGES.