En 2010, le public et la critique découvrent avec ravissement l'écrivaine islandaise Audur Ava Olafsdottir grâce à son très beau roman Rosa candida. Quatre ans plus tard, l'auteure «qui regarde la vie en biais» lance un troisième roman, aussi délicieusement décalé, agréablement étrange et finement écrit que ses précédents. Entrevue avec une femme qui écrit dans une île comptant 322 000 citoyens et 200 volcans, dont 130 actifs.

Déjà, en 2012, alors que nous l'avions interviewée pour son roman L'embellie, l'écrivaine islandaise Audur Ava Olafsdottir résumait ce que serait son prochain roman: «Ça s'appellera L'exception, ça parle de l'écriture, tous les personnages sont des écrivains, des poètes, sauf l'héroïne. Et le poète le plus important du roman, c'est une femme qui est naine, elle écrit dans le sous-sol de l'appartement de l'héroïne, elle est tellement importante que c'est probablement elle qui est en train d'écrire l'histoire!»

Un an et demi plus tard, L'exception est bel et bien entre nos mains, et oui, il s'y trouve une écrivaine naine, Perla, aussi conseillère conjugale, psychanalyste et «nègre» pour un auteur de romans policiers en panne d'inspiration!

Mais on trouve également, dans ces pages à l'écriture musicale, un mari qui révèle qu'il est homosexuel, des jumeaux de 2 ans, un plombier, un ornithologue, une épouse abandonnée qui travaille dans le milieu humanitaire, un corbeau, un hamac installé dans la neige, du bacon, etc. Bienvenue dans le monde subtilement déjanté d'Audur Ava Olafsdottir, celle qui dit: «La seule chose que les écrivains islandais ont en commun, c'est d'écrire dans une langue que personne ne comprend.»

Des relations «floki»

C'est Maria, l'épouse abandonnée et mère des jumeaux, belle, élégante, mince, humaniste («un cliché de personnage féminin dans les romans d'amour») et complètement effondrée, son mari l'ayant quittée pour un autre homme, qui raconte l'histoire à la première personne: «J'avais envie d'écrire sur la mémoire qui se trompe, explique Audur Ava Olafsdottir dans un français impeccable, en entrevue téléphonique depuis Reykjavik (Islande). J'avais attrapé une émission sur la BBC à propos de la mémoire et de l'imagination, qui occupent le même endroit dans le cerveau. Pour le roman, il fallait donc un événement qui oblige soudainement l'héroïne à reconstituer, recréer son passé. Et le passé, c'est son mari parfait, qu'elle aime beaucoup, avec qui elle a des jumeaux de 2 ans. Sauf qu'elle ne s'était absolument jamais rendu compte qu'il aime les hommes.» Lors d'un réveillon du jour de l'An, après 11 ans de mariage, il ne peut plus continuer à le cacher et part.

Le nom de ce mari, c'est Floki. Le nom de son amant aussi. Et floki, en islandais, veut dire «compliqué». «Avec Rosa Candida, je voulais parler de la complexité d'être un homme aujourd'hui, explique Audur Ava Olafsdottir. Avec mon roman L'embellie, de la complexité d'être une femme aujourd'hui. Cette fois, avec L'exception, je voulais parler des relations compliquées entre hommes et femmes. Des rapports amoureux, mais aussi de ce qui arrive quand ces relations sont terminées. Parce que ce n'est pas toujours terminé quand c'est terminé.»

L'art poétique

Résumer L'exception à une histoire d'amour compliquée serait néanmoins très réducteur. Dans ce troisième roman de l'Islandaise, il est aussi énormément question de l'acte d'écrire. Dans la version originale islandaise, L'exception porte un sous-titre, entre parenthèses et en tout petits caractères: «arte poetica», l'art poétique. Et tout le monde écrit, Maria étant l'exception. Son père adoptif écrit des livres pour enfants, son père biologique écrit des pièces et des romans, son voisin l'ornithologue écrit de la poésie, son plombier aussi, sa voisine Perla également.

Écrivaine et naine, Perla est le témoin actif de la douleur de Maria: «On demande toujours aux femmes écrivains ce qui est autobiographique dans leurs livres - surtout s'ils parlent d'amour! explique l'auteure. Eh bien, dans le cas de ce roman, c'est Perla la naine qui est un peu mon alter ego. Je me sens proche d'elle, peut-être parce que, comme écrivain femme, on est en quelque sorte considérées comme la moitié d'un écrivain [homme].»

Et Perla est «différente», hors norme, comme tous les personnages principaux des livres d'Audur Ava Olafsdottir: «C'est la première fois que cela m'arrive, j'avais 100 pages de Perla que j'ai dû couper, relate l'auteure. Perla aurait voulu être l'héroïne de ce livre. Elle avait tant de choses à dire!»

Audur Ava Olafsdottir avait elle-même un tas de choses à dire dans ce roman. Notamment sur la famille: «Le personnage de l'ornithologue, dans L'exception, expose à Maria la théorie du nid: il y a toutes sortes de nids possibles. Ce qui compte pour les enfants, c'est de leur donner de l'amour, de les respecter. Et ça, on peut le faire dans toutes sortes de familles. Quand quelque chose de grave arrive, quand un de nos proches meurt ou nous trahit, il faut quand même préparer le petit-déjeuner des enfants, jouer avec eux. Je veux écrire des hymnes à la diversité des familles possibles, adoptives, reconstituées, monoparentales, normales, etc.»

Autre thème: l'hiver. «Mais ce n'est pas l'hiver polaire comme on voit sur les cartes postales de Scandinavie, explique l'écrivaine, qui continue à enseigner l'histoire de l'art à l'Université d'Islande. L'hiver ici, c'est tout à fait l'imprévisibilité, c'est le temps qui change six fois par jour! Comme la vie, imprévisible, chaotique. Un roman, même le plus original, est beaucoup plus prévisible et structuré que la vie, n'est-ce pas? C'est tout le paradoxe du roman. Et ce sont les paradoxes qui font de nous des êtres humains.»

____________________________________________________________________________

L'EXCEPTION, AUDUR AVA OLAFSDOTTIR, ZULMA, 304 PAGES.