Il y a un an, Gaétan Soucy avait convenu avec l'éditrice Brigitte Bouchard que son nouveau roman sortirait au printemps 2014. Ce sera chose faite mardi avec l'arrivée en librairie de N'oublie pas, s'il te plaît, que je t'aime, livre posthume de l'écrivain mort le 9 juillet 2013.

En 2012, l'ex-patronne des éditions Les Allusifs avait sondé l'auteur de La petite fille qui aimait trop les allumettes, qui n'avait pas écrit depuis de nombreuses années, pour lui demander de participer à une série de courts livres sur la peur. Gaétan Soucy avait accepté avec enthousiasme et choisi la forme épistolaire pour aborder la peur de la solitude, en écrivant la lettre qu'un professeur de cégep adresse à une élève après une rupture douloureuse.

Des amis, dont Alberto Manguel, avaient ensuite suggéré à Soucy d'écrire la réponse de l'élève. C'est ce qu'il avait commencé à faire avant sa mort. La première partie, celle du prof Philippe, était complète et telle qu'il voulait la voir publiée. Mais il n'a eu le temps d'écrire que deux pages de la deuxième partie, soit la lettre de l'élève Amélie.

«Nous devions prendre l'été pour l'étoffer», explique Brigitte Bouchard, qui dirige maintenant la collection Notabilia chez l'éditeur français Noir et blanc. «J'ai beaucoup réfléchi à ce que je devais faire. C'était clair que je ne pouvais pas le publier tel quel. Puis, avec l'accord de la fille de Gaétan, Sayaka, j'ai demandé à quatre auteurs d'écrire leur version de la réponse d'Amélie pour compléter le livre.»

Catherine Mavrikakis, Sylvain Trudel, Pierre Jourde et Suzanne Côté-Martin se sont prêtés au jeu, par affection et par admiration pour Gaétan Soucy. Mais Brigitte Bouchard admet avoir essuyé quelques refus par des auteurs «mal à l'aise avec le processus».

Au fil du rasoir

Le résultat? Ce n'est peut-être pas le livre idéal si on veut découvrir l'oeuvre de l'écrivain, et il pourrait même surprendre ses admirateurs de la première heure. À l'opposé de sa prose flamboyante et de son univers fantasmagorique, la lettre de Philippe est dépouillée, très près du langage quotidien.

Gaétan Soucy y est «au fil du rasoir», juge Brigitte Bouchard, qui explique que l'auteur répondait aussi à sa commande d'écrire un texte plus personnel. Il se rapproche ainsi davantage du dernier livre qu'il avait écrit en 2005, L'angoisse du héron, nouvelle d'une soixantaine de pages publiée au Lézard amoureux, qui «tranchait déjà» avec le reste de son oeuvre, estime Mme Bouchard.

«J'aimerais tant qu'il soit là pour défendre son livre. Il savait que les gens seraient déstabilisés. Je crois que ça lui faisait peur autant que ça l'amusait», ajoute-t-elle.

Gaétan Soucy était en constante recherche littéraire. Il avait fait lire son texte à de nombreuses personnes et l'assumait pleinement. Et même si on peut ressentir un certain malaise en le lisant, avec l'impression d'avoir accès à un document trop intime, Brigitte Bouchard estime que N'oublie pas, s'il te plaît, que je t'aime est un véritable objet littéraire et qu'il doit être lu comme l'oeuvre d'un écrivain qui essayait quelque chose de différent.

«Il tenait sa fiction, il tenait son sujet. Et il y avait aussi cette mise en abîme avec la réponse d'Amélie.» L'auteur de L'Immaculée Conception avait en effet donné le ton de ce qui s'en venait avec son ébauche de réponse. Alors que Philippe s'évertue à convaincre la jeune femme qu'elle est toujours amoureuse de lui, celle-ci lui répond, en gros, qu'il se trompe. «Il est très intransigeant, il détruit lui-même tout le truc.»

Et comme Gaétan Soucy «n'aimait pas beaucoup les «happy ends»», les quatre auteurs invités ont suivi le pas et écrit des textes vindicatifs et sans complaisance. Chacun à leur manière, ils retournent le personnage de Philippe à sa propre fiction.

Universel

Le livre est, au final, une oeuvre collective et complète autour des thèmes de la correspondance, du rapport amoureux, de la peur de la solitude - «une constante dans l'oeuvre de Soucy» -, du malentendu et de la rupture, croit Brigitte Bouchard.

«La rupture est un sujet assez universel. Toutes les personnes à qui je l'ai fait lire m'ont dit qu'elles s'y reconnaissaient d'une manière ou d'une autre. Mais au-delà de tout, ce qui est triste et dommage, c'est que Gaétan ne soit pas là pour en parler.»

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N'oublie pas, s'il te plaît, que je t'aime, Gaétan Soucy, Notabilia, 96 pages.