Après avoir braqué les projecteurs vers une quinzaine de femmes qui ont marqué leur époque, Marie-Christine Lévesque et Serge Bouchard récidivent dans leur mission de présenter l'histoire de l'Amérique française par l'entremise de personnages eux aussi méconnus: les coureurs des bois.

Si les noms de Pierre LeMoyne d'Iberville, Louis Jolliet et Étienne Brûlé ne sont pas étrangers aux Québécois, qu'en est-il des Gabriel Franchère, Étienne Provost et autres Albert Lacombe? Bien peu de Canadiens français savent qu'une ville de l'Utah porte le nom de l'un des plus célèbres hommes des montagnes de son temps, Étienne Provost.

Poursuivant dans la foulée, ces 14 grands voyageurs décrits dans une langue vivante viennent consolider la thèse de l'anthropologue voulant que les Amérindiens aient d'abord entendu parler français sur leurs terres.

«Il y a une certaine catégorie de gens. Ils sont remarquables. Dans la première partie du livre, il y a quatre personnages qui sont familiers. On revisite des étiquettes historiques. Louis Jolliet, j'en avais entendu parler, mais en fouillant sa vie, j'ai découvert que ce n'était pas comme je l'avais appris», indique Serge Bouchard.

Le pirate d'Iberville

«Le plus marquant est Pierre LeMoyne d'Iberville. C'est un pirate sans coeur qui naviguait autant les mers du Nord que du Sud. J'aime dire que pour bâtir une nation, il faut aussi des méchants. Que seraient les États-Unis sans Al Capone? Nous, on a le plus grand pirate de son temps, Pierre LeMoyne d'Iberville.»

Canadien français né dans la rue Saint-Paul, à Montréal, d'Iberville fait sa loi dans la baie d'Hudson autant que dans le delta du Mississippi. Ses actes ont notamment permis la création de la Louisiane et la fondation des villes de Mobile et de La Nouvelle-Orléans. Mort à La Havane, il y est enterré. Les touristes peuvent d'ailleurs y contempler la statue qui salue «el general Dom Pedro Berbila».

Dans leur quête sur ces francophones qui ont sillonné l'Amérique, les deux coauteurs se sont amusés à démêler l'écheveau de ce qu'ils appellent «l'infrahistoire».

«Faire l'histoire de l'Amérique à partir des Indiens, explique Serge Bouchard, tu ne suis pas le même chemin que l'histoire classique. Tu ne vas pas avec les grandes guerres et les grands généraux. Tu empruntes un autre chemin et tu croises Étienne Brûlé, Guillaume Couture, les Hurons, le métissage. Tu suis la géographie et tu tombes sur John McLoughlin, le petit Jean-Baptiste parti de Rivière-du-Loup pour fonder l'Oregon ou sur Étienne Provost, l'archétype des mountain men. Quand Daniel Boone rencontrait Étienne Provost, il avait la queue entre les deux jambes, parce que là, il avait un homme devant lui. Et cet homme-là, c'est un gars de Chambly!»



S'affranchir de la France

Pas facile de sortir ces méconnus de l'ombre.

«Tous nos livres de référence sur les plus récents personnages sont écrits en anglais, souligne Marie-Christine Lévesque. Les Américains ont des centres d'études des explorateurs francophones. Le phénomène de la franco-américanité est très populaire là-bas. Ici, on n'a presque rien sur eux.»

Courir les bois, explorer l'Ouest américain, développer le commerce, c'est aussi s'affranchir de la France et se libérer de la société canadienne-française. «L'histoire du Far West américain a été un territoire de choix pour les hommes qui voulaient vivre leur homosexualité», raconte Marie-Christine Lévesque. L'histoire de Jean-Baptiste Charbonneau l'illustre en partie.

Au fil de l'entrevue, les deux coauteurs parlent autant des coureurs des bois canadiens-français que des chefs amérindiens avec qui ils tissent des alliances. Le tout trace la voie au prochain livre, qui portera sur les Amérindiens et qui devrait s'intituler: Ils ont perdu l'Amérique. Le couple jure qu'il n'a pas commencé à travailler sur le dernier volet de cette trilogie, mais les détails qui ponctuent les anecdotes sur les coureurs des bois donnent un aperçu de ce qui viendra après.

_______________________________________________________________________________

Ils ont couru l'Amérique: De remarquables oubliés, tome 2. Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque Lux Éditeur, 420 pages.