Ça prend un sacré sens de l'humour pour parler de la Croatie sans trop désespérer. L'écrivain montréalais et professeur à l'Université Concordia, Josip Novakovich, en possède tout un. La Presse l'a rencontré pour la sortie en français de son roman Poisson d'avril.

Chaque réponse de l'écrivain montréalais d'origine croate Jozip Novakovich - qui était en lice l'an dernier pour le prix Man Booker International - surgit avec un filet de sourire. Comme s'il testait l'eau ambiante pour voir si l'ironie de ses propos atteint la cible.

Son roman satirique Poisson d'avril, enfin traduit en français par Boréal, 10 ans après sa publication originale, en est empreint d'un bout à l'autre. Une chance, se dit-on. La vie de son personnage Ivan Dolinar ressemblerait, sinon, à celle d'un personnage de tragédie grecque.

«On pourrait penser que je suis cynique, mais non, un personnage comme celui d'Ivan, même s'il fait penser à Kafka ou aux surréalistes, aurait pu exister en Europe de l'Est. En Yougoslavie, on a longtemps cru vivre dans le pays le plus hospitalier, le plus aimable sur terre jusqu'au moment où l'on s'est entretués. Je préférerais ne pas avoir de sens de l'ironie, mais quelqu'un doit bien en avoir un.»

En partie autobiographique, cette histoire trouve une résonance dans les études en médecine du romancier, sa vie en Croatie, certaines anecdotes de son enfance mettant en vedette le maréchal Tito, quelques articles qu'il a écrits.

«Comme je vis maintenant loin de la Croatie, la distance m'a peut-être donné ce regard ironique sur les choses», avoue-t-il.

Fin du communisme

Au départ, le professeur de Concordia voulait surtout se pencher sur la fin du communisme dans son pays. Les événements tragiques de la guerre en ex-Yougoslavie (1991-2001) l'ont amené à changer l'orientation du récit.

«Je voulais rire du socialisme, de Tito et de la Yougoslavie. C'était un pays absurde, se rappelle-t-il. Beaucoup de gens ont rêvé de fuir à cette époque, mais sont restés. C'est leur histoire, mais je l'ai restructurée et réécrite avec la guerre.»

Le personnage principal, né un 1er avril, est un jeune idéaliste qui rêve de gloire, qui se battra durant la guerre autant du côté croate que du côté yougoslave et qui mourra, mais pas tout à fait! Tout ça au sein d'une société soupçonneuse et superstitieuse. Ivan est un caméléon, un homme invisible à la Dostoïevski. Absurdistan, dites-vous?

«Dostoïevski est une influence pour moi, explique Josip Novakovich. Ivan est un homme qui vit davantage à l'intérieur de sa tête. Il refuse la plupart du temps d'agir quand il le faut. Il hésite et devient complètement paralysé.»

«Pour le comprendre, poursuit-il, il faut voir ce qui s'est passé chez nous. Les gauchistes les plus sérieux sont devenus les plus grands apôtres de la libre entreprise lors du changement de régime. C'est toujours la même élite au pouvoir qui trouve de nouvelles convictions et la rhétorique nécessaires afin de défendre la nouvelle idéologie.»

Prix Man Booker

L'an dernier, Josip Novakovich était parmi les finalistes au Prix Man Booker International - honorant l'ensemble d'une oeuvre, à l'opposé du prix annuel Man Booker de la fiction, remporté par Yann Martel en 2002 - puisqu'il a aussi publié nombre de recueils de nouvelles et des essais. L'expérience n'a pas été que positive.

«C'est bon de recevoir un peu d'attention, fait-il. Ça donne confiance en soi. D'un autre côté, ça enlève du temps que j'aurais dû passer à écrire. J'ai perdu un mois au total.»

Mais, souligne-t-il, sa nomination a attiré l'attention de Boréal.

«Je crois qu'il a y une longe lignée d'écrivains qui manient bien la satire en langue française, de Voltaire à Céline, estime-t-il. C'est naturel que mon livre soit traduit dans cette langue. De plus, Boréal a une très bonne réputation à l'international.»

Son prochain roman, satirique également, portera sur les Russes. Ça promet.

___________________________________

Poisson d'avril

Josip Novakovich

Traduction par Hervé Juste

Boréal, 304 pages