Mathieu Arsenault est un électron libre du milieu littéraire québécois. Tout le monde le connaît, sauf le grand public, peut-être même plus pour ses activités que pour ses livres - Album de finissants et Vu d'ici. Nombreux sont les écrivains qui portent ses créations, puisqu'il a mis sur pied la boutique en ligne http://doctorak.co/boutique/qui vend des objets littéraires «en tous genres». Des macarons affichant «Maria Chapdelaine c'est plate» ou «Faire semblant d'avoir lu Joyce», par exemple. Son maillot le plus populaire est «Louis-Ferdinand Céline Dion», suivi de près par «Tequila Heidegger, pas le temps de niaiser»...

Voilà qui illustre pas mal l'esprit rebelle de celui qui dit être allé à l'université - jusqu'au postdoctorat - «contre certains poètes français», pour devenir un «spécialiste d'un domaine qui [l]'ennuyait profondément». «Et je n'ai pas lâché, mon bout!», ajoute-t-il en vidéoconférence, alors qu'il est dans «l'hôtel le plus cheap de la Gaspésie», sans téléphone.

La boutique, c'est aussi une question de survie pour celui qui a choisi, volontairement, de vivre sur la corde raide financière alors qu'il aurait pu être prof, dans le confort d'une permanence. «Je veux vivre le plus longtemps possible sans collègues, les deux pieds dans le présent. Je ne me sens bien que dans la marge», confie l'auteur, en pleine tournée dans les écoles de la région, à quelques jours du lancement de son livre, loin de la promotion médiatique.

Arsenault a sa façon bien à lui de réenchanter, avec une bonne dose d'humour, un milieu qui en prend pour son rhume dans La vie littéraire. Un milieu où «la seule chose qui marche encore un peu, c'est les romans clairs qui ont l'air intemporels mais qui ne sont que démodés avec des personnages qui vivent des choses intenses», peut-on y lire, entre autres égratignures.

Arsenault a créé le Gala de la vie littéraire au tournant du XXIe siècle, maintenant à sa quatrième année, un événement qui célèbre les oeuvres boudées par les bourses, les prix prestigieux et les coups de coeur Archambault ou Renaud-Bray.

«J'ai l'impression que ce qui se fait de plus intéressant en littérature québécoise présentement, ce sont dans les oeuvres plus expérimentales, qui prennent la mesure de ce qui nous arrive. Je ne pense pas qu'on va saisir la saveur de notre époque en se basant seulement sur ce qui se vend bien. Il y a des choses qui ne se vendent pas qui sont bien plus marquantes. Comme Patrice Desbiens.»

L'urgence, mode d'emploi

Ce qui semble tenir à coeur à Mathieu Arsenault est cette communication entre les écrivains contemporains, qui doivent se lire les uns les autres, selon lui. Il est un observateur infatigable de «la vie littéraire», justement. Ce n'est pas un cynique, bien qu'il soit tout à fait conscient - et c'est son obsession - d'écrire à un moment où les librairies ferment, où la littérature disparaît des médias, où tout le monde veut écrire plutôt que lire.

Comme plusieurs, il a rêvé d'être un «grand écrivain». «Mais le grand écrivain qu'on imagine n'existe pas. La vie de l'industrie du livre est tout sauf mythique et grandiose. Avec les années, je me suis rendu compte qu'est devenue bien plus importante l'idée que notre époque soit une belle époque littéraire et je travaille plus là-dessus. Écrire aujourd'hui, c'est trouver de quoi notre époque est capable en littérature. On n'est plus dans les contraintes de refaire l'image qu'on en a, on peut la créer, on peut trouver notre liberté comme ça.»

Et cela, malgré un contexte difficile, où mille et un gadgets font concurrence à la lecture. Les fictions de Mathieu Arsenault sont traversées par des inquiétudes, voire une panique, bien d'aujourd'hui.



La vie littéraire est, comme Album de finissants, un roman fulgurant, en fragments, mais sans ponctuation, comme pour ligoter la concentration du lecteur. Car pour Mathieu Arsenault, qui refuse que la lecture ne soit qu'un divertissement, et qui trouve que trop de romanciers font plus de jolis cupcakes que des romans marquants, il faut que «chaque ligne soit un feu d'artifice». «Je suis un peu un déficit d'attention mélangé avec un Asperger, j'ai besoin de «monster trucks» intellectuels.»

Sa narratrice est une «fille littéraire» qui s'interroge sur la pertinence d'écrire, en quelque sorte, inspirée par les filles de la vie de Mathieu Arsenault, dont Vickie, avec qui il partage le mode de l'urgence.

«Pour moi, il n'y a pas d'autres motivations que celle de l'urgence. La logique de mon livre, dans la première partie, est de se rendre compte que le monde du livre est super fragile et dans la deuxième partie, on se demande comment est-ce encore possible de trouver du temps pour écrire. Parce que si on fait des livres pour être connu et que tout le monde nous aime, ça ne va pas arriver. Si on fait des livres pour gagner de l'argent, ça ne va pas arriver. Et si on fait des livres pour rester dans l'histoire, on n'est même pas sûr que ça va arriver. L'urgence est donc peut-être le seul mode qui permet de rester en vie.»

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La vie littéraire, Mathieu Arsenault, Le Quartanier, 112 pages.