Tout amoureux de polars et de Venise connaît Donna Leon: cette auteure américaine qui vit depuis 33 ans dans la Sérénissime a inventé, en 1992, le commissaire Guido Brunetti, dont les enquêtes se déroulent toutes à Venise. À l'occasion de la publication de Deux veuves pour un testament, 20e enquête du fameux commissario humaniste, nous avons rencontré Donna Leon à... Venezia, Italia!

«Cet homme à qui je viens de parler, murmure Donna Leon en route pour le marché du Rialto, c'est mon ancien fruitier, maintenant à la retraite. C'est lui qui m'a parlé d'un de ses proches tombé dans une secte, et dont je me suis inspirée pour écrire La petite fille de ses rêves [la 17e enquête de Brunetti, publiée en anglais en 2008, en français en 2011].»

Tout au long de notre périple aux côtés de cette écrivaine intelligente et engagée qui manie le sarcasme comme pas un, nous rencontrerons ainsi de ses amis vénitiens qui lui ont raconté ceci et cela, sans imaginer qu'ils nourrissaient une vive imagination. Celle d'une native du New Jersey (É.-U.), professeure de littérature anglaise devenue amoureuse de Venise lors d'un premier séjour en 1965, au point de s'y installer à demeure en 1981. Cela après avoir enseigné en Chine, en Iran, en Suisse, en Arabie saoudite...

Originale, Donna Leon? Le mot est faible. C'est déjà assez rare de rencontrer une Américaine qui a un discours aussi critique sur son pays («J'ai voté pour Obama, parce qu'on ne peut pas voter pour les républicains, mais sans me laisser berner par tout le Kool-Aid qu'il y avait là-dedans!»), grande voyageuse, éprise d'informations, férue de littérature et de culture - elle nourrit notamment une passion folle pour Haendel et la musique baroque. Elle a pour amie la cantatrice Cecilia Bartoli (elles ont mené à deux un projet polar + CD en 2012), et déborde d'un enthousiasme quasi juvénile en évoquant les noms - et surtout les voix! - des cantatrices québécoises Karina Gauvin et Marie-Nicole Lemieux!

Mais c'est encore plus rare, une auteure qui a entrepris sa carrière littéraire à 50 ans et publie un polar par année, qui est traduite depuis dans une vingtaine de langues (sauf l'italien, à sa demande, car elle tient à son quasi-anonymat à Venise), dont les romans ont déjà été portés au petit écran par les Allemands mais qui le seront de nouveau par la BBC, et qui consacre sa fortune à soutenir diverses causes, y compris la défense et la promotion de la musique baroque. Donna Leon est même, carrément, la mécène de l'orchestre Il Pomo d'oro, au renom grandissant. D'ailleurs, c'est bien simple, pendant notre visite, chaque musicien croisé s'arrêtera pour la saluer et lui demander de ses nouvelles!

Entre l'Italie et la Suisse

Aujourd'hui âgée de 71 ans, toujours bon pied bon oeil, devenue au fil des ans végétarienne («une végétarienne qui mange du poisson» reconnaît-elle toutefois), la toute menue Donna Leon partage désormais son temps entre l'Italie et la Suisse, où elle a obtenu sa résidence permanente («Beaucoup moins compliqué qu'en Italie!»).

Elle fuit Venise quand les 20 millions de touristes annuels y déferlent et y revient quand les choses se calment, comme c'était le cas en ce mois de janvier brumeux. C'est dans le quartier du Cannaregio, non loin de l'église de Santa Maria degli miracoli. qu'elle vit... mais sur le pont du Rialto, elle ne peut s'empêcher de pointer du doigt un beau palazzo dont le dernier étage est actuellement à louer - à un prix exorbitant: «C'est trop cher, dit-elle, mais tout de même, écrire en regardant le Grand Canal de ses fenêtres... Je ne le louerai pas, mais j'ai pris rendez-vous avec l'agence de location, il faut au moins que j'aille voir de quoi il a l'air.»

C'est ainsi qu'elle a, un jour, déniché ce qui allait devenir pour elle «l'appartement de Guido Brunetti», qu'on peut apercevoir, en levant la tête, tout au bout de la Calle de la Madoneta. «Si la plupart des histoires que je raconte sont fondées sur des réalités, dit-elle, si tous les détails que je décris sont véridiques, les personnages, eux, sont le fruit de mon imagination.» Il n'existe pas de vrai Guido Brunetti... sauf dans la tête des lecteurs!

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Les frais de transport et d'hébergement à Venise pour ce reportage ont été défrayés par Les éditions Calmann-Lévy et Hachette Canada.