Cassie Bérard ne fait pas que baigner jusqu'au cou dans le monde de la littérature. Avec la sortie d'un premier roman étonnant de précocité, D'autres fantômes, elle démontre qu'elle est aussi capable d'y nager avec grâce. Et complexité.

Rédigeant sa thèse de doctorat d'une main, tout en achevant de l'autre une première oeuvre savamment structurée, la (très) jeune auteure, 26 bougies au compteur, démarre sur les chapeaux de roue.

Publié fin février, D'autres fantômes a en effet de quoi marquer les esprits. Y sont contées les obsessions d'Albert, rongé, miné, dévoré par le doute à mesure qu'il enquête sur le suicide d'une jeune femme dans le métro parisien. Une inconnue qu'il croit connaître. Mais n'est-il pas lui-même étranger à ses propres yeux?

Dans ce récit brodé d'une foule de fausses pistes, et tout autant d'influences de techniciens de la littérature (Aquin, Robbe-Grillet, etc.), même le lecteur s'empêtre. Au fil de ce premier ouvrage, la jeune auteure originaire de Québec fut épaulée par de solides connaissances en théorie des lettres, récoltées notamment sur les bancs de l'université. En passe d'achever une thèse à l'Université Laval à Québec (portant sur «La narration non fiable dans la littérature»), elle dispense également des cours de création littéraire.

«Ce parcours me permet d'avoir un regard critique sur ma propre écriture», juge Cassie Bérard, qui vient tout juste de s'installer à Montréal. Un atout théorique qui lui permet, par exemple, de constater et d'exploiter son «besoin d'étrangéisation» dans ses écrits.

Elle pointe ainsi la distance qui la sépare de son personnage principal (un quadragénaire français) et du cadre géographique et culturel de son roman, lequel se déroule dans l'Hexagone. «Je ne suis allée que trois fois en France pour de courts séjours. Paris est une fiction pour moi. Mais j'ai besoin de me dépayser pour que cela soit de la pure fiction», évoque-t-elle.

Confondus par le foisonnement des influences cultivées ans ce premier récit, nous avons demandé à cette sérieuse candidate de meilleur espoir 2014 de faire la lumière sur trois inspirations.

Trois influences qui ont pesé dans la balance

Voir double avec Romain Gary

Nombreux sont les écrivains à citer l'auteur de La vie devant soi. Cassie Bérard ne fait pas exception. «Je l'aime pour son Émile Ajar et le mythe du double, de l'imposture, que cela sous-entend. C'est un thème qu'il reprend dans son oeuvre», confie celle qui puise elle-même dans ce réservoir, jouant sur l'infime frontière séparant vérité et mensonge. Constamment lancés sur de fausses pistes, ses personnages s'enfoncent dans le doute et tournent en rond. «Avec son double, Romain Gary a fait de sa propre vie une fiction», évoque-t-elle. La jeune écrivaine serait-elle dotée elle-même d'une double personnalité? «J'aimerais beaucoup, mais je ne le pense pas! Ou bien je ne l'ai pas encore trouvée...»

Les facettes infinies de Michel Butor

«L'emploi du temps est une oeuvre qui m'a renversée. C'est comme un monde qui s'autosuffit, mais qui s'ouvre à des possibilités infinies d'interprétations. On peut le comprendre de toutes les façons possibles.» Dans ce roman flirtant avec l'expérimental, paru en 1956, le narrateur effectue de nombreux retours dans le passé, tout en effaçant certains indices spatio-temporels. Une technique employée dans D'autres fantômes, où le lecteur s'interroge par moments sur l'échelle du temps, passé et présent étant parfois brouillés. Cassie Bérard s'étant attelée à un futur ouvrage, il y a fort à parier que la sophistication sera plus que jamais au rendez-vous. «Je vais continuer à écrire et tâcher de réaliser l'oeuvre la plus cohérente et la plus incohérente possible. Une équation mathématique qui ne fonctionne pas.» Voilà qui promet pour la suite!

Le Nouveau Roman: se moquer des conventions

Courant de réinvention de l'écriture apparu dans les années 50 en France, le Nouveau Roman compte dans ses rangs des auteurs aventureux tels qu'Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute ou Samuel Beckett, pour ne citer qu'eux. Irrévérencieux envers les conventions romanesques, allant jusqu'à remettre en question les notions d'intrigue et de personnage. Une influence très palpable dans le roman de Cassie Bérard, même si elle assure ne pas rédiger une oeuvre à classer sous cette étiquette. «Je ne prétends pas non plus détruire toutes les conventions comme l'a fait le Nouveau Roman, mais c'est une influence esthétique. Les intrigues se referment sur elles-mêmes, se renient, et s'interrogent sur leur existence même. On retrouve aussi la remise en question du temps et de sa linéarité. Le personnage prend une telle place, pour finalement se dénier et s'interroger sur sa propre existence...»