Michael Delisle, écrivain discret, ne s'est jamais autant dévoilé que dans ce qu'il considère comme son livre le plus hybride, Le feu de mon père. À la fois portrait sans concession de son père «psychopathe» et hommage à la poésie, transformée en arme plus puissante qu'un «gun» pour tirer... un trait sur le passé. Le coup est puissant.

«Lire de la poésie et écrire de la poésie m'ont aidé à tenir bon», peut-on lire dans Le feu de mon père, un récit dans lequel il n'a plus la protection de la fiction pour parler de son enfance difficile - et difficile est ici un euphémisme.

Il a cependant la poésie comme arme face à ce père criminel dans la Ville Jacques-Cartier mal famée des années 60. Le feu dont il est question dans le titre est le surnom donné au fusil paternel...

Ce n'est pas la première fois qu'il aborde cette figure, qui a inspiré le roman Le désarroi du matelot en 1998. «C'est un livre que j'avais mis 10 ans à écrire, dit-il. Mon père a toujours été mon Waterloo. Je me suis rendu compte que c'est la raison pour laquelle un poète parle dans celui-ci. Je me suis mis en position de force pour affronter ça. La poésie est une chose que j'ai acquise, maîtrisée. Si je m'étais mis en posture de fils, ça aurait mal fini!»

Ça aurait pu mal finir bien avant. Ce que raconte l'écrivain dans ce récit est à la fois magnifique et terrible. «Cet animal m'a donné la vie», constate-t-il en voyant son père sur son lit d'hôpital après un accident. C'est un bandit, un homme violent qui l'a battu. Dans une crise de jalousie, il a voulu éliminer sa femme. Image traumatique, presque photographique, du narrateur, bébé, tenu à bout de bras par sa mère face au fusil du père. «Dans le fond, ce sont deux parents qui ont essayé de me tuer», laisse tomber Michael Delisle en riant.

Ce rire donne une idée du ton de ce récit, qui ne sombre pas dans le règlement de comptes. Michael Delisle est trop talentueux pour ça. Plus soucieux de l'écriture que de lui-même. Parce que l'écriture est, de toute évidence, ce qui l'a sauvé. La poésie avant tout, «cette exception que font les incroyants» note-il, «car il y a quelque chose dans la poésie qui est capable de te jeter dans des états qui ressemblent à la prière». Il est l'auteur de six recueils de poésie, parmi lesquels Mélancolie et Prière à blanc...

Il doit sa vocation d'écrivain, croit-il, à cette interdiction de parler à la maison ou au collège de son enfance, tenu par les soeurs dans ce Québec à la mentalité «doloriste», où le «pénitentiel» était vu comme formateur. «C'était une culture du silence et j'étais valorisé pour ce silence-là, se souvient-il. La formation d'un caractère fermé, isolé, toujours dans ton monde, c'est un plus pour écrire. Un tempérament schizoïde qui fait que l'univers devient ta feuille de papier. C'est en parlant plus tard avec des gens que je me suis rendu compte qu'il y avait quelque chose de pas normal dans mon histoire.»

Mais il ne faut pas voir ce livre comme un «témoignage», chose que Michael Delisle semble avoir en aversion. Entre autres parce que son père a sombré un jour dans une espèce de délire mystique dont il n'est jamais sorti, où la confession devenait presque malsaine. «Ce n'est pas un livre que j'ai écrit dans le but de communiquer avec lui non plus, ajoute-t-il. Il n'y a pas grand-chose qui l'atteint, il est avec Dieu. J'ai connu un psy qui m'a dit que les gens qui adhèrent à des sectes religieuses sont en général dangereusement violents et qu'ils vont là-dedans pour consumer leur violence, dans un feu intérieur...»

Feu le père

Beaucoup d'écrivains décident d'écrire sur leurs pères une fois qu'ils sont morts. Or, le récit de Michael Delisle est aussi celui d'un deuil raté, raconté avec un certain humour. Le père a survécu à son accident, à la déception du fils - ou plutôt, de l'écrivain, qui espérait tirer quelque chose de cette mort.

«Tous les gens le font, pourquoi pas moi? dit-il, ironique. C'est sûr que l'accident a fait avancer le projet. J'ai été obligé d'être proche de lui comme je ne l'avais jamais été en 25 ans. Enfin, j'ai trouvé une façon de finir le livre...»

Un livre dont le premier chapitre concerne l'absence d'exergue, un refus du «sceau de papa», de la caution, de la bénédiction, mais qui s'ouvre au fil des pages vers des citations.

«Je voulais que ça commence dans un état de solitude et qu'on sorte de l'abattement du début, pour aller vers un rapport aux autres.»

Michael Delisle l'avoue, Le feu de mon père est le livre qui lui donne le sentiment d'être le plus vulnérable, maintenant qu'il est sorti dans le monde. «Je n'aurais jamais pu l'écrire à 20 ans, mais je suis rendu là.» Parce que son père est mort, en quelque sorte. A-t-il été tué par l'écriture?

«Oui, répond-il. Mais ce n'est pas juste une agression, c'est une façon de prendre ma place. Ça montre la force du langage, ce qu'est l'autobiographie comme geste. C'est finalement un livre sur l'écriture où les exemples volent la vedette!»

Le feu de mon père, Michael Delisle, Boréal, 122 pages.