Sergio Kokis célèbre 20 ans d'écriture avec la publication de Makarius cette semaine. Un personnage éloquent dans son silence. Un mime qui cherche à dire, sans les mots, les horreurs du siècle dernier. Un livre sur les limites de la création artistique et de la vie, puis de la mort qui en rit.

Sergio Kokis a publié 21 livres depuis 1994. Il célèbre cette année cet anniversaire en publiant Makarius et en se décrivant en état semi-paralytique d'écriture. La raison, dit-il: ce livre-ci est son meilleur.

L'écrivain n'est ni fatigué ni dépressif. Il est même en pleine forme en raison de sa pratique de la marche. Non, Sergio Kokis n'est pas vraiment en panne non plus - un essai sur son expérience de marcheur est d'ailleurs fin prêt -, mais il a décidé de prendre congé de l'écriture de romans. Une année complète.

«J'ai un problème, je trouve Makarius très réussi», dit-il de sa voix chaude du sud, sans un soupçon de prétention.

«Ça m'inhibe. Ce roman représente 10 ans de travail. C'est une rareté chez moi. Je crois que c'est le plus important de tous.»

Qui est donc ce Makarius? Il est apparu dans Saltimbanques en 2000 et dans Kaléidoscope brisé en 2001.

«Je l'avais suicidé un peu trop vite. Je voulais donc répondre à la question: Pourquoi le suicide? Ce phénomène m'intéressait.»

Autre inspiration, dont Sergio Kokis parle dans son roman, le destin du poète Paul Celan, autre suicidé, «un créateur déçu de lui-même en ce qu'il reconnaissait la faillite de sa poésie».

Celan aurait voulu inventer un nouveau langage pour décrire les horreurs des camps qu'il a vécues. Il est mort en 1970. Makarius, grand artiste mime, se bat pour l'Allemagne lors de la Première Grande Guerre et dans les Brigades internationales contre Franco en Espagne. Il en restera marqué jusque dans sa chair.

Dire l'indicible

L'horreur tue les deux hommes. Incapables d'exorciser ce qu'ils ont vu et ressenti, impuissants à transposer dans le langage des événements traumatiques, ils se tuent. Dire l'indicible, mission impossible?

«Tous les artistes vivent ça, croit Sergio Kokis, qui est aussi peintre. Je connais cette incapacité de transmettre, cette quête de sens face à l'insensé. Chaque fois, c'est un échec. Comme peintre et écrivain, je vis une double frustration.»

Mais la catharsis existe. En écrivant Makarius, il a créé des personnages assez puissants et intéressants avec lesquels il a pu entreprendre un dialogue fécond sur la vie, la mort, l'art, la religion...

Makarius se fera des amis dans la grande famille du cirque, une maîtresse au long cours, des protecteurs passionnés d'art qui le sauveront plus d'une fois, mais c'est un solitaire, presque misanthrope, qui reproduit l'humanité dans sa gestuelle corporelle, quoiqu'il ne la comprenne pas vraiment.

«Il a toujours pris ses distances par rapport aux autres, de peur de devenir comme eux, dit le romancier. Il a fait le choix du silence comme mime. Dès le début, on voit que c'est un être peu sociable. Il est celui qui souffre.»

L'alter ego de Sergio Kokis est davantage ici le personnage de Carl Schulz, graveur de profession qui cherche à créer une oeuvre importante, une Danse macabre. Pour ce faire, il s'intéresse à Makarius, le mime qui a tout vu, rien dit et s'est donné la mort.

Aujourd'hui

L'Histoire avec un grand H devient un troisième personnage central dans cette épopée qui couvre tant le conflit de 14-18 que la guerre civile en Espagne, en passant par les tout premiers camps nazis.

Une époque qui ressemble peut-être plus à la nôtre qu'il n'y paraît. On y faisait la chasse à l'intellectuel, on y pratiquait la démagogie comme manière de penser et on subissait le totalitarisme comme une nécessité politique.

«Nous vivons dans un état de déséquilibre, d'excès, croit l'écrivain. Le premier badaud se lève et donne son opinion. Je suis plutôt en faveur de l'aristocratie en démocratie, c'est-à-dire un gouvernement de sages dans une recherche du bon sens, de l'équilibre.»

Élitiste, Sergio Kokis? Il préfère dire que l'excellence de certains doit être respectée, encouragée. L'écrivain ne se décourage pourtant pas.

«Il y a de l'espoir. Le rôle de l'art reste important. Il y a moyen de continuer le travail quand j'entends des jeunes me dire qu'un de mes livres les a aidés. C'est vrai que je refuse de m'adresser à la masse. Je ne suis pas capable d'écrire pour le grand public, mais j'ai un public stable. Même les paroles des minorités ont raison d'exister.»

En ces temps troubles de Charte des valeurs, l'homme ne saurait mieux dire.

Extraits de Makarius

LE GÉNÉRAL

«Je me battrai pour un pays où je souhaite continuer à vivre. [...] j'ai des comptes en suspens avec les fascistes, d'où qu'ils soient. Je n'aurais peut-être pas des SS devant moi pour apaiser ma rancune et c'est dommage. Tant pis. Si Hitler et Mussolini envoient des troupes pour soutenir Franco, alors là, je vais me battre avec beaucoup plus de plaisir.» (Makarius parlant à un ami)

INGMAR BERGMAN

«Makarius acheta un billet et plongea hâtivement dans la salle de cinéma presque déserte. Le film avait à peine commencé et déjà le mime se sentait transporté dans un monde qui existait seulement dans ses souvenirs. Tout était là, se déroulant sur l'écran comme si son regard était devenu un projecteur lumineux capable de faire revivre au loin, en noir et blanc, ses propres images mentales.»

LE SUICIDE

«Makarius donna son dernier spectacle: ce fut un numéro de folie, terrible et provocateur à la fois, dans l'espoir de déclencher une bagarre. Une bagarre et peut-être un coup de feu ou un couteau assassin qui viendrait mettre fin à sa déréliction. Mais il n'obtint rien de cela.»

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Makarius, Sergio Kokis, Lévesque éditeur, 482 pages.