C'était il y a 20 ans. Donna Tartt n'en avait pas encore 30. Elle se trouvait dans un hôtel, à Amsterdam. Une chambre refuge. Dans une ville qu'elle ne connaissait pas. Où les journaux laissés à sa porte affichaient sa photo. Où il était question d'elle à la télévision. En néerlandais. Une langue dont elle ne connaissait pas un mot.

Son premier roman, Le maître des illusions, connaissait un succès phénoménal aux Pays-Bas (comme partout ailleurs). Elle en faisait la promotion. Se sentait à la fois concernée et «exclue». «Une expérience «désorientante» », résume-t-elle. Qu'elle a traversée en faisant ce qu'elle sait: la coucher sur papier, à la main, dans les carnets de notes qui l'accompagnent partout. Deux décennies plus tard, ces lignes-là se retrouvent presque intégralement dans son troisième roman, Le chardonneret.

C'était il y a 10 ans. Donna Tartt se trouvait à Paris pour rencontrer quelques journalistes au moment de la sortie du Petit copain. Elle était à l'écriture d'un autre livre, dont elle avait dit peu à La Presse sinon qu'il serait «très différent des précédents» et qu'elle espérait ne pas avoir besoin de 10 années pour y mettre le point final. Il lui en aura fallu 11 pour terminer Le chardonneret. «Ce doit être mon rythme», concède-t-elle en riant.

Cette lenteur, qui n'en est pas une de paresse, lui vient de sa manière de travailler.

«J'ai d'abord écrit de la poésie, raconte-t-elle. Mais je n'avais pas, selon mes propres exigences, le talent nécessaire pour écrire la poésie que je désirais écrire. Je me suis tournée vers la nouvelle mais, là encore, je n'étais pas heureuse. C'est quand j'ai commencé mon premier roman que je me suis dit: "Ça, je sais comment faire." Mais mes habitudes d'écriture étaient prises. J'écris donc de très gros romans, mais je les travaille une phrase à la fois. Je peux passer des heures à jouer sur une ponctuation ou à chercher le mot qui me satisfait. C'est un peu comme si je peignais des murales, mais avec un tout petit pinceau.»

C'était il y a deux semaines. Donna Tartt, qui ne recherche pas vraiment les projecteurs ni les contacts avec les médias, avait accepté de rencontrer La Presse dans un restaurant de Manhattan.



À l'aube de la cinquantaine, elle n'avait pas changé. La silhouette menue. Un faible pour les vêtements noirs. Le teint opalin, le regard clair et direct, la chevelure sombre et lisse. Non, Donna Tartt n'avait pas changé. Pas plus physiquement que, est-il apparu au fil des deux heures d'entrevue, artistiquement et professionnellement. Dans sa manière de pratiquer l'écriture. Dans sa façon de construire un roman. Dans ses motivations.

«Je veux que le lecteur soit complètement immergé dans mon livre, que tout soit réel pour lui, jusqu'au moindre détail - même ceux qu'il ne voit pas sur le coup. Je veux que tout soit solide bien en dessous de la surface», explique-t-elle. Le chardonneret ayant été qualifié de «dickensien» par certains critiques, elle se permet l'analogie: «Vous pouvez lire Dickens très vite et suivre toute l'histoire. Mais vous pouvez aussi le lire «à la loupe», à un niveau microscopique, et vous trouvez plus que seulement l'histoire. C'est ce que je tente de faire.»

Le chardonneret

Donna Tartt

Feux croisés-PLON, 795 pages

En librairie le 16 janvier

Les frais de voyage ont été payés par Interforum Canada.

La toile Le chardonneret, de Carel Fabritius

Dans le roman de Donna Tartt, un garçon emporte avec lui Le chardonneret, toile de Carel Fabritius, à la suite d'un attentat terroriste dans un musée new-yorkais.