Dimanche dernier, Martin Michaud recevait un deuxième prix Saint-Pacôme du roman policier, cette fois pour son troisième polar, Je me souviens. Quatre jours plus tard, il lançait un nouveau livre, intitulé Sous la surface. Or, surprise, pas de sergent-détective Victor Lessard ni de Québec dans ce thriller politique qui plonge dans l'univers politique américain. Étonnant, pour ne pas dire «astonishing»!

Depuis son tout premier polar publié en 2010, Martin Michaud se plaît à donner, à la fin de ses livres, la liste des pièces de musique qu'il écoute pendant qu'il les écrit; ses romans sont d'ailleurs parsemés de références à des morceaux ou artistes qu'il aime. Pour cette entrevue, il était donc normal de l'aborder en entonnant une chanson, celle d'Annie Lennox: Tell me, whyyyyyy?

Oui, pourquoi tourner aussi radicalement le dos aux enquêtes de Victor Lessard, qui lui ont valu une renommée quasi instantanée, et se tourner vers la politique américaine comme il le fait dans Sous la surface? Pourquoi camper carrément son thriller aux États-Unis, le jour du Super Tuesday, ce mardi de février ou de mars lors duquel des primaires et des caucus se déroulent dans un grand nombre d'États pour sélectionner le démocrate et le républicain qui s'affronteront lors de l'élection présidentielle? Et pourquoi choisir pour héros une héroïne, soit Leah Hammett, femme du candidat favori du Parti démocrate? Leah, ex-top-modèle et écrivaine en panne d'inspiration, dont la vie est bouleversée en ce lundi 29 février 2016, veille du Super Tuesday, par un message sibyllin envoyé par un mort, décédé en 1991!

«Pourquoi? dit avec un grand sourire Martin Michaud. Parce que, dans mes romans, je pars toujours d'une préoccupation personnelle ou de quelque chose qui me fascine depuis longtemps. Dans Il ne faut pas parler dans l'ascenseur (2010), c'était le coma. La chorale du diable (2011), c'était inspiré du film Damien, la malédiction, qui m'avait terrifié enfant. Dans Je me souviens (2012), c'était le FLQ, la Crise d'octobre et la mort de Kennedy. Mon père ramenait à la maison des revues spécialisées sur l'assassinat de Kennedy, ça m'a toujours fasciné.

«Car je suis un maniaque de politique américaine et de tout ce qui se passe en dessous de ce qu'on en voit, reprend-il. Alors je me suis demandé si j'avais le souffle voulu pour écrire là-dessus, un genre d'histoire qui, c'était clair, ne pouvait absolument pas se passer au Québec. Un genre d'histoire plus hard, aussi. Je savais bien que les gens m'attendaient avec un nouveau Lessard. Mais comme auteur, je n'ai pas envie qu'on connaisse uniquement cette facette de moi. Et je trouvais aussi que c'était un bon business model, avoir une série comme celle des enquêtes de Lessard avec, en parallèle, des romans hors série, un peu comme le font Jo Nesbø, Henning Mankell.»

C'est un des traits les plus surprenants de Martin Michaud: l'image de l'auteur qui souffre, qui se sent incompris ou de l'écrivain québécois qui écrit essentiellement pour le lectorat d'ici, très peu pour lui. Il raffole des poètes, aime parsemer ses romans de références à des auteurs qu'il aime, mais plus que tout, il voit grand, il rêve fort et n'hésite pas à faire comme il l'entend, qui l'aime le suive. Bref, il aurait écrit ce quatrième livre en lorgnant le marché européen et même le marché anglo-saxon que ça ne nous étonnerait pas. Depuis ses débuts, son style d'écriture en témoigne: «Je trouve qu'on est encore très influencés par les Français et qu'on s'épanche donc beaucoup à décrire l'intériorité d'un personnage, pendant des pages et des pages. Les anglophones ont une expression pour décrire ce qu'ils font: show, don't tell. C'est ça que j'essaie de faire. Je suis un storyteller, je veux montrer, pas expliquer.»

En 2016, au Massachusetts

«Une des idées pour écrire Sous la surface m'est venue de l'accident de Ted Kennedy à Chappaquiddick en 1969, raconte Martin Michaud. Ses deux frères ont été assassinés, il pense à se présenter comme président, mais après un party, son auto tombe dans le canal de Chappaquiddick, il s'en sort, mais sa passagère meurt noyée; or, cette femme aux côtés de Kennedy dans la voiture n'était pas son épouse. Il a rapporté l'accident neuf heures plus tard, a été condamné à une peine minime. Mais cela a mis fin à ses ambitions présidentielles en raison du scandale. Moi, je me suis mis à imaginer la voiture coulée au fond et le gars qui est devant un choix: parler ou pas.»



«J'ai décidé de planter l'histoire en 2016, donc après le règne d'Obama et l'attentat au marathon de Boston, de faire référence à la candidature de Michael Dukakis en 1988 et m'en servir pour étoffer mes personnages, pour que tout ça donne un air vrai au livre. [...] Et comme une partie de l'histoire se passe 25 ans plus tôt, en 1991, j'ai pu en profiter aussi pour parler de la musique grunge: j'avais 21 ans à l'époque, et je me suis fait plaisir en parlant d'une mimique à la Arsenio Hall ou de l'écoute d'un groupe inconnu alors, Nirvana!»

La rédaction de Sous la surface n'a pas empêché Michaud de travailler à d'autres projets. Il terminera sous peu l'écriture d'un roman court, sur le modèle du projet L'Orphéon chez VLB: «Mais cette fois, nous serons quatre auteurs au lieu de cinq, et le point commun aux quatre romans sera non pas un édifice, mais un événement-clé.»

Par ailleurs, il a signé une entente avec un réalisateur connu pour faire une série de films inspirée de ses enquêtes de Victor Lessard. Et Michaud travaille aussi à un projet de série télé originale, entre le thriller policier et le fantastique, encore à l'étape de développement.

«Ça fait 20 ans cette année que je suis avocat (spécialisé en droit des technologies de l'information), conclut-il, mais c'est aussi l'année du grand saut dans le vide: depuis le début de 2013, je gagne mon pain avec ce qui sort de ma tête. Je me permets donc, par exemple, d'écrire à peu près trois fins pour Sous la surface, comme une trappe sous les pieds du lecteur. Pour qu'on comprenne que l'histoire officielle n'est jamais celle qui arrive pour vrai.»

Sous la surface - On a tous quelque chose à cacher. Martin Michaud. Éditions Goélette. 360 pages.