Guindonville, c'était un terrain à Val-David avec sept maisonnettes louées à prix modique. En 2003, les locataires en sont expropriés: les autorités de Val-David considèrent les lieux comme un «bidonville» et puisque, justement, il faut un endroit pour construire un chalet d'accueil au parc régional Dufresne, chalet finalement construit en 2005. Jean-Marc Beausoleil s'est inspiré de Guindonville pour Joie de combat, son sixième roman, à l'écriture saine, sensible et jubilatoire!

Dans Joie de combat, Guindonville est devenu Caronville et Val-David, Saint-Rancy. Et c'est là que la fiction entre en scène. Car l'histoire est narrée avec verve par Rio, alias Mario Larochelle, ex-humoriste recyclé en agent immobilier, dont a) la blonde est une ancienne danseuse nue devenue tutrice de deux jeunes adultes trisomiques habitant Caronville et b) le beau-frère ambitieux préside aux destinées de Saint-Rancy en tant que maire, tout en vendant des véhicules récréatifs!

Dans ce court roman «punché», il est évidemment beaucoup question d'expropriation, d'étalement urbain, de logement social et de «condomanie». Mais aussi de Guantánamo, de l'Égypte pharaonique, d'inukshuks, de journalisme gonzo, de la trisomie, des travailleurs mexicains illégaux, et j'en passe! «Tant qu'à écrire, explique Jean-Marc Beausoleil avec un grand sourire, aussi bien s'attaquer à des sujets qui en valent la peine! C'était comme si, pour moi, Caronville était devenu emblématique de tout ce qui ne fonctionne pas, quelque part dans notre monde.»

«Et en même temps, je voulais faire plus que simplement «les bons contre les méchants»: les «méchants» peuvent avoir de très bons arguments des fois, et les «bons», des motivations discutables. Et puis, comme dit Marc Angenot, on ne peut pas tous écrire des poèmes, il faut aussi produire de la richesse: mes personnages qui s'opposent à l'expropriation ont raison, mais ceux qui veulent que leur ville soit plus prospère aussi. C'est justement ce que je voulais, écrire une vraie tragédie: quand deux vérités de force égale se rencontrent et que personne ne peut gagner.»

Rio, lui, oscille entre les deux clans, entre les habitants hors normes de Caronville et les gens qui veulent acheter une nouvelle maison pour y élever leur famille. «Je tenais à ce que Rio ne soit pas un rebelle qui s'élève contre la société capitaliste, dit Beausoleil, ça aurait été artificiel et une pose par rapport à ce que je suis et ce que je vis: moi aussi, je suis un parent qui s'est acheté une maison récemment, je ne suis pas un anarchiste, je suis un prof de cégep avec une hypothèque... Mais ce sujet me permet quand même de parler de la façon dont on occupe l'espace, dont on se débarrasse des marginaux, de souligner qu'on est tous en train de passer sous le rouleau compresseur de l'uniformité: un bungalow, un bungalow, un bungalow, tous pareils! On est dans une société très productiviste: il faut être désirant et désirable, consommant et consommable... Le droit d'échapper à ça, parfois, est bien fragile.»

D'où l'humour, parfois truculent, parfois nuancé, du roman. Mais aussi sa prescience, son caractère un brin prémonitoire: «Le plus étrange, explique en effet Beausoleil, c'est que j'ai écrit ce livre avant que les carrés rouges n'arrivent, avant le mouvement Occupy... Paul-Marie Lapointe dit qu'un bon poète, c'est un sismographe. Je crois que, une fois dans ma vie, je vais avoir été un bon romancier-sismographe!»

Car il est écrit aussi avec verve, paillardise et testostérone, ce Joie de combat (le titre est d'ailleurs inspiré d'une expression bien française employée par les soldats américains pour décrire la ferveur de certains guerriers avant les combats). Pensez à quelque chose comme le Tonino Benacquista de Trois carrés rouges sur fond noir ou au François Barcelo des débuts.

«J'écris beaucoup et je suis capable de beaucoup écrire, explique l'auteur boulimique de mots. Mais je m'aperçois que si je veux être lu, il faut que je fasse un récit, avec un suspense. Plus j'écris et plus je pense que je maîtrise le genre du court roman contemporain, presque polémique: je trouve que Joie de combat est mon roman le plus abouti. En plus, j'en suis particulièrement content parce c'est mon premier roman post-Arthur: Arthur, c'est mon fils, il a maintenant trois ans et demi et Joie de combat est le premier texte que j'écris au complet après sa naissance. Je pense que son arrivée m'a aidé.»

Enfin, le journaliste qu'a été Jean-Marc Beausoleil dans une autre de ses vies trouve enfin une certaine paix avec ce roman: «À l'époque de Guindonville, je travaillais à L'Écho du Nord, dans les Laurentides, et je suis le premier journaliste à avoir écrit un article sur le sujet. Ensuite, je l'ai couvert pour le magazine Dernière Heure, et c'est là que tous les autres médias, La Presse, Le Devoir, Télévision Quatre Saisons et compagnie ont commencé à parler de Guindonville. Écoute, même CNN était à Guindonville le dernier jour; c'est rare que CNN va dans les Laurentides! Sauf qu'à ce moment-là, moi, j'ai été envoyé à Trois-Rivières pour y créer un journal! Et je n'ai pas pu couvrir la fin de l'histoire... Je m'étais toujours dit que Guindonville, c'était mon histoire, c'est moi qui l'avais fait connaître, alors, un jour, j'allais la raconter à ma façon.»

Une façon bien à lui, à la fois drôle et dramatique, mêlant faits réels transposés et fiction parfois délirante, où les droits des trisomiques, l'importance de la sculpture engagée ou les joies d'une vie sexuelle inventive ont autant leur place que le souvenir de feu Guindonville.

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Joie de combat, Jean-Marc Beausoleil, Triptyque, 209 pages.

L'affaire Guindonville

En décembre 2002, les locataires de sept maisonnettes construites sur un terrain baptisé Guindonville, du nom de son propriétaire Yvon Guindon, apprennent qu'ils sont expulsés par la municipalité de Val-David afin de permettre la construction de structures d'accueil au parc Dufresne.

En mai 2003, l'affaire fait grand bruit dans les médias et des artistes comme Richard Desjardins dénoncent la situation, alors que plusieurs manifestations de protestation sont organisées sur les lieux. En vain, car l'expropriation est faite dans les règles. En juillet 2003, des contestataires décident donc d'occuper Guindonville, dont deux expropriés: l'une se cadenasse à la cime d'un arbre alors que l'autre s'enchaîne à un baril de béton de 360 kilos sur le toit de sa maison! Le 5 juillet, la Sûreté du Québec procède à leur arrestation, et le 6, Guindonville est rasé.

Or, les travaux de construction prévus sur l'ancienne propriété de M. Guindon n'aboutissent pas, en raison d'un imbroglio juridique avec un promoteur immobilier du coin qui a, pendant la crise de Guindonville, racheté une bonne partie du parc. Il faudra des années de tractations avant que soit aménagé ce qu'on appelle désormais le secteur Dufresne du parc régional de Val-David-Val-Morin.