La marche en forêt, son premier roman, témoignait déjà d'une maîtrise et d'une maturité étonnantes. Avec Le mur mitoyen, qui sera en librairie mardi, Catherine Leroux prouve qu'elle n'est pas qu'un feu de paille et s'affirme comme une romancière solide qui n'a pas peur de voir large.

Lorsqu'elle a été finaliste au Prix des libraires en 2012, Catherine Leroux savait que sa vie allait changer. «J'avais écrit La marche en forêt sans attente et sans pression, en improvisant un peu, même si je savais où je m'en allais. Cette fois, le processus a été différent, je dirais que j'étais plus consciente que j'écrivais.»

Le mur mitoyen est un roman choral ambitieux, qui suit quatre histoires, quatre «duos» sans lien apparent. Mais il est difficile d'en parler davantage tant chacune d'elles comporte des surprises qui en sont le noeud et le fil conducteur du livre.

On peut dire par contre que, peut-être encore plus que dans La marche en forêt, qui était une chronique familiale aux ramifications multiples, Catherine Leroux se penche sur la notion de filiation.

«Le mur mitoyen, c'est ce mur entre un frère et une soeur, ce lien étrange d'identité et de divergence dans une fratrie. Mais qu'est-ce qui fait un frère et une soeur? Est-ce la génétique, l'expérience? Et de même, qu'est-ce qui fait un couple?»

La jeune auteure est particulièrement fascinée par la génétique, «qui vient donner une espèce de coup de bâton dans les certitudes qu'on a sur qui on est et sur nos familles». Mais c'est la cellule familiale qui est son principal centre d'intérêt.

«Je ne sais pas pourquoi j'y reviens toujours. En même temps, la question ne se pose pas, on est tous formatés par nos familles d'une façon fondamentale. Et même quand on arrive à se détacher d'un héritage dont on ne veut pas, c'est quand même cette lutte qui définit notre existence.»

Trois des histoires de Mur mitoyen sont séparées en deux parties à peu près égales, et intercalées par des petits bouts de la quatrième. Catherine Leroux estime qu'elle a pu leur donner plus de souffle que si elle avait procédé par courts flashs, et qu'ainsi le lecteur peut entrer plus profondément dans chaque univers.

Les liens entre les personnages des différentes histoires devaient être plus ténus, mais elle s'est finalement plu à mettre des «effets ailes de papillon» dans chaque récit. «Ça fait plus romanesque, et j'ai trouvé plus de points communs entre les personnages que ce que j'avais anticipé. Et puis comme lectrice, j'adore ça, découvrir des petites clés. Pour moi, c'est l'équivalent des tounes cachées sur des CD!»

Grave

Catherine Leroux l'admet, Le mur mitoyen est un livre sérieux et grave. Et oui, elle aime donner du fil à retordre à ses personnages. «J'aime les rencontrer à des moments importants et décisifs de leur vie. Je m'intéresse à ce qu'on appelle dans les cours de philo 101 les situations limites...»

C'est peut-être dû justement à son bagage philosophique, mais cette bourlingueuse qui a fait mille métiers aime aller au fond des choses. «J'avais envie de manger un steak, de travailler avec de gros sujets, de faire quelque chose de dense. Ce n'est pas souvent qu'on a la chance de dire quelque chose aux autres, et à beaucoup de gens en même temps. Alors je n'ai pas le goût de tourner autour du pot.»

Si elle n'a pas peur des «gros» sujets, Catherine Leroux n'a pas peur non plus d'occuper le territoire nord-américain - «un territoire qui nous revient» -, de l'Acadie au sud des États-Unis en passant par Montréal, San Francisco et les Prairies.

«Ce n'est pas parce qu'un roman ne se passe pas au Québec qu'il n'est pas québécois, qu'il n'a rien à apprendre aux Québécois. C'est l'éternelle question de l'identité, mais pour moi, les Québécois sont des Nord-Américains, et la littérature québécoise est fabuleusement nord-américaine.»

Le stress du deuxième roman passé - «Ce n'est pas une pression triste, quand même!» -, le prochain est déjà en marche. Un livre avec lequel elle se sent «sur la même longueur d'onde» et qui mettra encore en scène une flopée de personnages.

«Après La marche en forêt, j'avais commencé un roman avec un couple qui vivait de façon assez isolée. Mais j'ai arrêté parce que je m'ennuyais! On dirait que je ne suis pas capable d'attaquer la réalité, ou la vérité que je cherche à cerner, d'un seul angle. Il faut que j'y aille par plusieurs côtés, que je prenne plusieurs voix pour le faire.»

Finalement, nous sommes tous plus ou moins liés? Il n'y a pas de mur entre les gens? «Il y a des murs, mais ce sont nos murs à tous. C'est ça, le mur mitoyen, il est entre nous, mais il nous appartient à tous les deux. C'est ce qu'on a en commun, et c'est ce qui nous sépare. C'est un beau paradoxe.»

Le mur mitoyen. Catherine Leroux. Alto, 344 pages.

Extrait Le mur mitoyen

«Lors de la première rencontre, ils se sont évanouis. Ariel s'est présenté avec un pamphlet de l'association étudiante, Marie a approché ses doigts de la main qu'il lui tendait avec insistance, leurs paumes sont entrées en contact, et, en parfaite synchronie, ils se sont affaissés sur la pelouse desséchée du campus. En reprenant connaissance, ils n'avaient aucun souvenir de leur chute, seule l'impression qu'une onde chaude avait balayé leur corps, persistant comme une brûlure agréable sur la peau après une journée au soleil. Des étudiants qui lisaient non loin d'eux leur ont raconté qu'ils étaient restés inertes pendant plus de trois minutes. Croyant qu'il s'agissait d'acteurs répétant une scène, ils n'avaient pas tenté de les ranimer.»