Poète, il est couvert d'honneurs. Chansonnier, il envoûte ses auditeurs. Maintenant romancier, Fredric Gary Comeau nous épate en dessinant de son écriture fulgurante une galerie de personnages mouvants en quête d'eux-mêmes.

On pourrait penser qu'avec la publication de Vertiges, le poète acadien ajoute une corde à son arc. Mais ce premier roman commencé il y a 20 ans, très «fin de siècle» mais parlant de notre époque, arrive après de nombreux détours.

«C'est toujours ce que j'ai voulu faire. Pour mes 7 ans, j'avais demandé une guitare et une machine à écrire. Je savais déjà que je voulais raconter des histoires.»

En 1992, le poète acadien jette donc la première ébauche de ce qui allait devenir Vertiges. Happé par d'autres projets et détourné par de malchanceuses pertes de manuscrits, il y est revenu sporadiquement, jusqu'à ce que son ami Tristan Malavoy lui propose de le publier dans sa toute nouvelle collection, Quai no 5, chez XYZ.

«Ç'a été un long chemin pour qu'il existe. Pourtant, c'est ce qui me tient le plus à coeur depuis 20 ans.» Ce qui explique sûrement l'éclat dur et brillant, parsemé de touches d'humour, de ce roman optimiste mais pas fleur bleue, à l'écriture affûtée et parfaitement maîtrisée.

Divisé en de nombreux très courts tableaux, des «flashes» qui ressemblent à de «petites cartes postales», juge l'auteur, Vertiges suit huit personnages qui, au milieu des années 90, entre Montréal, Santa Fe, Moncton et New York, sont reliés de près ou de loin par les fils du destin. Il y a entre autres Hope, jeune Franco-Américaine en quête existentielle, Antoine, le «poète acadien» qui est peut-être l'homme de sa vie, Naguib, gynécologue montréalais aux pulsions meurtrières, Jesus, acrobate argentin qui essaie d'écrire un roman...

«Ce qu'ils ont en commun, c'est qu'ils cherchent tous à se transformer, ou bien ils se transforment bien malgré eux. Et chacun pense qu'il prend le bon chemin pour trouver ce qu'il cherche, alors que c'est autre chose qui l'attend. Ils se trompent, mais c'est bon de se tromper parfois, et ça force à se redéfinir.»



Hasards et coïncidences

Comme bien des romans choraux, Vertiges est fait de coïncidences. Chaque personnage a au moins un lien avec un autre, et tous se croisent, s'aperçoivent et se revoient constamment.

S'il ne croit pas au destin, Fredric Gary Comeau croit au hasard, preuves et anecdotes à l'appui - volubile, le romancier n'est pas avare d'histoires à raconter. «Je crois, en tout cas, aux tours que le hasard peut nous jouer. Parfois, ce qui a l'air le plus loufoque dans le livre, le plus incroyable, c'est arrivé pour vrai!»

L'idée de ce roman est d'ailleurs née d'une anecdote du début des années 90. «J'avais demandé à un ami de laisser un exemplaire de mon deuxième recueil dans le désert, au Nouveau-Mexique. Je me suis imaginé ensuite ce qui arriverait si quelqu'un le trouvait et y voyait un signe quelconque.»

Dans Vertiges, c'est Grace, la mère de Hope, qui découvre le bouquin d'un poète acadien dans le désert. Elle convainc sa fille qu'il est possiblement «l'homme de sa vie», et celle-ci part sur sa trace... paresseusement. «J'aimais l'idée qu'elle fasse tout, dans le fond, pour ne pas le rencontrer. C'était plus intéressant que de la lancer dans une enquête.»

Même si son souci restait de raconter une histoire, Fredric Gary Comeau a aussi fait un livre où les frontières n'existent plus, où les langues nord-américaines se répondent - français, anglais, espagnol, chiac - et où les langages artistiques se côtoient - danse, arts visuels, musique. Le tout avec une force de frappe puissante qui n'est pas sans rappeler la poésie.

Romancier poète

«À quoi sert la poésie dans l'écriture d'un roman? À faire des phrases que ton éditeur veut couper et qu'il faut défendre!», lance-t-il. Et plus sérieusement: «Je crois que la poésie donne de la profondeur de champ et du relief.»

Ce qui est certain, c'est qu'il a gardé de la poésie et de la chanson un penchant pour la forme courte, une capacité de dire beaucoup en peu de mots et d'aller «à l'essentiel». Mais l'écriture romanesque aura été «comme des vacances» pour lui, sans contrainte aucune. Le bonheur. «On peut tout faire dans un roman!»

Parions qu'il n'attendra pas de nouveau 20 ans avant de publier son deuxième... «En ce moment, j'ai 44 projets en chantier. Je ne suis pas éternel et je sais que j'ai du travail à faire avant la fin, avant que les carottes soient cuites...»

Vertiges. Fredric Gary Comeau.  XYZ, Collection Quai no 5. 190 pages.

Quand les arts se répondent

L'ex-journaliste littéraire Tristan Malavoy avait depuis longtemps envie de tâter de l'édition. C'est chose faite depuis qu'il est à la tête de Quai no 5, nouvelle collection publiée par XYZ, dont les deux premiers romans - Vertiges de Fredric Gary Comeau et Faire violence de Sylvain David - viennent de voir le jour.

«Je suis sensible à l'écriture, au style. Je recherche des voix, mais j'aime aussi des textes qui réfléchissent sur notre époque, sur l'humain.»

Tristan Malavoy aime aussi quand les arts s'éclairent entre eux. Musique, arts visuels, architecture et danse sont d'ailleurs intégrés dans ses deux premières publications.

«Ce n'est pas l'hybridité que j'aime. Un roman reste un roman. Ce sont les répercussions que les arts ont les uns sur les autres qui m'intéressent.»

Photo: fournie par Jocelyn Michel

Tristan Malavoy