La popularité de Maud Graham ne se dément pas. La détective de Québec créée par Chrystine Brouillet est de retour cet été pour la treizième fois avec Saccages, dans une intrigue qui gagne en complexité.



Chrystine Brouillet a remporté il y a trois semaines le prix Tenebris du polar québécois s'étant le plus vendu en 2012, devant de gros canons comme Martin Michaud et Patrick Senécal. C'était pour La chasse est ouverte, qui a trouvé 30 000 preneurs en un an - format papier seulement.

«Autant les mots sont concrets pour moi, autant les chiffres sont abstraits, dit pourtant l'écrivaine, qui est devenue l'incontestée reine du polar au Québec. Mais c'est vrai que ce prix concrétise quelque chose. Il y a 30 ans de travail derrière ça.»

Chrystine Brouillet voit comme un cadeau le fait que son héroïne ait été adoptée si rapidement par les lecteurs. D'autant plus que lorsqu'elle l'a créée en 1988, son désir était d'«aller contre les stéréotypes» des personnages féminins dans les romans policiers.

«Les blondes évaporées, les noires méchantes, les rousses pulpeuses, ça me tombait sur les nerfs. J'ai toujours dit que Maud Graham est une femme ordinaire qui pratique un métier extraordinaire. Les stéréotypes n'ont peut-être pas changé, mais ils ne reflètent pas la réalité: les policières que je connais sont de belles filles en forme, mais ce ne sont pas des mannequins. Je ne pense pas qu'elles viennent travailler maquillées et en talons hauts comme dans les séries américaines!»

Le public, en tout cas, s'est attaché à l'imparfaite Maud Graham et à sa famille élargie. «Les gens me parlent de Grégoire, de Maxime qui grandit, de l'amoureux de Maud, Alain Gagnon, comme s'ils les connaissaient... Je suis bien placée pour comprendre ça, moi-même j'arrive d'un voyage à Venise sur les traces des Brunetti (créés par l'auteure Donna Leon). J'aime autant sa femme Paola, ses enfants, sa belle-mère, son beau-père qui est si particulier...»

Maud Graham est aussi devenue comme une amie pour l'auteure. «Mais non, je ne lui parle pas!» Les seuls moments étranges sont lorsque la comédienne Maude Guérin, qui a incarné Maud Graham au cinéma, vient souper chez elle. «Ce n'est pas juste physique, c'est aussi dans sa manière de bouger. Alors quand elle vient à la maison, j'ai toujours un cinq minutes de décalage. Mais c'est tout!»

MAUD GRAHAM EN TROIS CARACTÉRISTIQUES

Rigoureuse

«Même si elle s'est assouplie avec le temps, elle est tenace et aime que les choses soient bien faites. Ce qui n'empêche ni la souplesse, ni l'empathie. Mais elle doit faire attention: si elle craque, c'est le chaos dans la ville!»

Fidèle

«Oui, elle est fidèle à son métier, sa ville, ses amours, ses amitiés, ses enfants. Maud n'est pas facile à gagner, mais quand elle est là, c'est pour longtemps.»

Gourmande

«Je pense qu'on peut dire ça! Mais dans sa vie, ce sont les hommes qui cuisinent, elle ne sait faire que quelques recettes. Imagine, dans Le collectionneur, elle réussit même à rater un osso buco! Je trouve que ça la rend humaine.»

L'INTRIGUE

Contrairement aux polars classiques, il y a beaucoup d'information dès les premiers chapitres de Saccages, qui commence avec le meurtre à l'arme blanche d'un homme apparemment sans histoire. On apprend ainsi rapidement que Jean-Louis Carmichaël était loin d'être un ange, que plusieurs de ses voisins avaient des raisons de lui en vouloir, et qu'une jeune femme, Rebecca, tente d'oublier le passé douloureux qui la relie à lui.

«On sait beaucoup de choses dès le début du livre parce que je trouvais important d'expliquer pourquoi une victime d'agression peut souhaiter ne rien dire, explique l'auteure. Oui, la parole peut être salvatrice, mais ça peut être légitime de se taire. Les victimes ont droit à leur intimité, entre autres parce qu'elles ne veulent pas être considérées seulement comme des victimes.»

Difficile d'en dire plus sans révéler les ficelles de Saccages - disons seulement que si on comprend le choix de Rebecca, le silence des victimes et de leur entourage a aussi été bénéfique pour l'agresseur. Chrystine Brouillet est d'accord, mais ne veut pas ajouter à la culpabilité des gens et refuse de se poser en juge ou en donneuse de conseils. «Mon propos est d'abord de montrer le désarroi des victimes.»

LE PLAN

Le fait de connaître si bien Maud Graham permet à Chrystine Brouillet de créer des structures de plus en plus compliquées. «Elle me simplifie l'existence. Saccages se déroule sur deux intrigues, et je réussis à faire ça depuis quelques années parce que je ne suis plus obligée d'expliquer tout depuis le début.»

Chrystine Brouillet se décrit comme une «psychorigide angoissée». Impossible de commencer à écrire un livre sans avoir un plan précis - elle l'enferme même dans un coffre-fort lorsqu'elle part pour une fin de semaine! «Je peux faire des plans très compliqués; à la fin, ça ressemble à une toile d'araignée!»

Chaque roman de Chrystine Brouillet a sa structure: cercles qui s'emboîtent, zigzags, vagues... Saccages est en escalier, son prochain roman sera «saccadé», La chasse est ouverte était circulaire et Le collectionneur était une montée qui se terminait avec un précipice. «Mais souvent, je peux décrire la structure seulement quand j'ai fini d'écrire.»

MAUD GRAHAM EN CHIFFRES

1988: Publication de Préférez-vous les icebergs?, le premier roman mettant en scène Maud Graham.

13: Saccages est le 13e roman de Chrystine Brouillet mettant en scène la détective Maud Graham.

3: Le film Le collectionneur, réalisé par Jean Beaudin en 2002 et mettant en vedette Maude Guérin en Maud Graham, a atteint un box-office d'environ trois millions de dollars.

600 000: La série des Maud Graham s'est vendue à plus de 600 000 exemplaires en 25 ans.

Extrait de Saccages

«Penser à cette voix qui était la sienne. Il fallait qu'elle laisse cette joie se propager en elle, se prolonger jusqu'à la nuit afin d'être heureuse avec Nicolas. Il était vraiment délicat avec elle, mais il devinait qu'une partie d'elle-même s'absentait lorsqu'ils faisaient l'amour. Elle désirait pourtant cette relation, voulait plus que tout être une femme comme les autres. Elle était persuadée qu'elle finirait par se laver de toute cette saleté qu'avait introduite en elle le Voleur. Elle y arriverait en écoutant sa voix. Elle faisait l'expérience du pur plaisir quand elle chantait. Il faudrait que ce plaisir l'habite en dehors du studio, de la scène.»