Roman d'amour, politique, d'espionnage, même fantasmagorique: Vérité et amour réunit tout cela autour de la quête identitaire d'une expatriée française à Prague... racontée par une auteure qui a quitté la Côte d'Azur pour Montréal.

Claire Legendre est venue grossir l'an dernier la cohorte des Français qui déménagent au Québec. La jeune femme originaire de Nice, qui a obtenu un poste de professeure de création littéraire à l'Université de Montréal, venait de passer trois ans à Prague.

«J'ai pris l'avion directement pour Montréal», dit l'auteure qui admet «ne plus être chez elle nulle part». «Mais ce n'est pas grave. Montréal, c'est très bien, cosmopolite, métissé. J'ai l'impression qu'il y a ici plein de gens dans mon cas.» De toute façon, ajoute-t-elle, une fois qu'on est parti de chez soi, rentrer n'est plus une option. «C'est morbide.»

Claire Legendre est consciente que la Côte d'Azur reste une destination de rêve dans l'imaginaire de beaucoup de monde. «Pour les vacances, c'est bien. Mais politiquement, Nice est une ville où il y a beaucoup de racisme, où la culture n'occupe pas une grande place. Ce n'est pas pour rien que je suis partie après l'élection de Sarkozy. C'était devenu irrespirable.»

L'héroïne de Vérité et amour, Francesca, a elle aussi quitté le sud de la France après l'arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence. La jeune enseignante accompagne son mari, qui a été engagé comme attaché culturel à l'ambassade de France à Prague.

Là, elle vit la vie désoeuvrée de «femme d'expat». Pendant que son couple se désagrège, elle sombre dans une dépression qu'elle combat en trouvant un boulot de prof de français et en fantasmant sur un de ses élèves, Roman Svoboda, haut fonctionnaire aux activités louches.

«J'ai écrit ce livre pour confronter deux identités nationales», explique l'auteure, qui s'est amusée à y dépeindre «l'arrogance française». Francesca passe en effet son temps à comparer - et juger - la nourriture, les vêtements, le temps qu'il fait, les contacts humains...

«Mais j'ai aussi voulu montrer le parcours du personnage, qui au début est désarçonné et critique tout, puis sa progression.»

Ce parcours la transformera. Est-ce qu'il faut être ailleurs pour trouver qui on est? «J'ai souvent en tête l'image du révélateur photographique. On vous plonge dans le bain et on voit ce qui en sort. Ce que nous sommes est souvent déterminé par le contexte.»

Au-delà du cheminement personnel de Francesca, l'histoire de la République tchèque, jeune pays d'à peine 20 ans qui a vécu sous le joug d'entités nationales très fortes, l'intéressait aussi. Claire Legendre a ainsi voulu faire vivre la grande histoire dans la petite: pour elle, la volonté d'émancipation des Tchèques ressemble à celle d'une femme au foyer...

«C'est vraiment une tentative d'incarnation dans l'intimité d'une problématique qui est plus grande.» L'auteure espérait d'ailleurs que son livre suscite l'intérêt des Tchèques autant que des Français. «Je voulais leur parler à eux aussi. Et là, je suis super contente, parce que j'ai appris qu'il sera traduit là-bas.»

Désir

À 34 ans, Claire Legendre est une sorte de prodige de la littérature française - elle a publié son premier roman, Viande, à 19 ans. Associée au courant de l'autofiction, elle estime cependant qu'il ne faut pas être naïf. «Comme tous les auteurs, je mets de moi dans mes livres. Mais si le personnage ne porte pas mon nom, ce n'est pas moi. Mon expérience pragoise, par exemple, elle ne fait pas 304 pages, elle fait trois ans de ma vie!»

Une large part de Vérité et amour est consacrée au désir frustré de Francesca. Son mari ne veut plus lui faire l'amour et elle se consume de désir pour lui, ainsi que pour son mystérieux et séduisant fonctionnaire. Mais on est loin de Fifty Shades of Grey...

«Mon premier défi est de parler de sexe sans érotisme. Moi, l'érotisme, ça me gonfle. Mais un des sujets du livre est le désir et je ne pouvais pas l'esquiver. Je devais rentrer dedans!»

Cette absence de flagornerie se retrouve dans toute l'écriture de Claire Legendre. De ses trois ans en République tchèque, elle a d'ailleurs appris que le lyrisme et le romantisme ne peuvent aller de pair qu'avec une ironie cinglante.

Avant, elle ne se serait jamais permis ce titre, Vérité et amour, même s'il est tiré d'un discours de Vaclav Havel. «C'est vrai que ça fait très Jane Austen, admet-elle. Par ailleurs, j'adore ses livres, parce qu'ils ont une ironie sociale très piquante et qu'ils sont loin d'être à l'eau de rose.»

Elle a donc poussé l'expérience du roman slave jusqu'au bout en pimentant le romantisme d'une large part d'autodérision, en s'inspirant aussi des films de Valéria Bruni-Tedechi, espèce de «Woody Allen au féminin» qui la touche beaucoup. Ainsi, autant la situation de Francesca est tragique, autant sa maladresse et l'ironie de la narration nous font sourire.

«Mais on n'est pas dupe non plus: si le malheur ne peut pas s'exprimer sans cette petite robe pudique, l'ironie n'empêche pas d'être malheureux.» D'où la fin à la fois «triste et pleine d'espoir», dit-elle avec un large sourire, consciente du cliché. «C'est vrai, et Montréal est la lumière au bout!»

Extrait

«Le vice-consul dormait comme un bébé et j'ai regardé son visage à la lumière de l'enseigne du restaurant d'en face, en soufflant légèrement sur lui dans l'espoir qu'il s'éveillerait et me prendrait dans ses bras. J'ai prié un peu, peine perdue, et puis je suis allée me démaquiller. J'ai écrit à Roman Svoboda un mail très bref pour «rattraper le coup», dire qu'il avait disparu après mon passage aux vestiaires, et que j'espérais le revoir bientôt. Je savais bien que les vases communicants sont une stratégie d'échec, qu'on ne remplace pas un mari perdu par un amant pas encore gagné, mais la solitude, la perspective de la solitude à trente ans, je veux dire la solitude sexuelle, était pire encore que la mesquinerie des vases, plus honteuse encore.»