Vous ne verrez probablement jamais François Blais dans des cocktails de lancement ni sur un plateau de télévision. Depuis son premier livre en 2007, c'est un par un que le lauréat du Prix littéraire de la ville de Québec pour son roman Document 1 a su gagner ses lecteurs. La classe de madame Valérie, son sixième roman, devrait lui en assurer de nombreux autres.

Q : Pour toi, c'était un vrai défi, le roman choral. Tu as vraiment l'impression de passer à une autre étape?

R : Oui, c'était un vrai défi, dans le sens où je sortais de ma zone de confort, mais je ne veux pas me dire que je suis passé à une autre étape, dans la mesure où je me réserve le droit de régresser vers mon ancienne manière.

Q : Qu'est-ce que le roman choral permet de dire par rapport à un roman à un ou deux personnages?

R : Je ne voulais pas vraiment dire quelque chose. Au départ, c'était surtout un défi «technique»: je voulais me prouver que j'étais capable de piloter une vingtaine de personnages sans m'emmêler les pinceaux. Je pense que j'ai à peu près réussi. Aussi, en décidant de m'intéresser à un grand nombre de personnages, ça me forçait, pour une fois, à parler de gens qui ne me ressemblent pas, qui ont des préoccupations (la sexualité, le travail, l'éducation des enfants) que mes personnages habituels n'ont pas.

Q : Pourquoi voulais-tu montrer tes personnages plus tard, à la fin de l'adolescence puis à l'âge adulte?

R : En gros, le thème du roman, c'est les rêves qu'on a à 10 ou 11 ans versus ce que la vie nous réserve en réalité. Les déconvenues, les murs qu'on frappe et qui nous obligent à revoir nos ambitions à la baisse. Je trouvais ça important de montrer ce que mes personnages étaient devenus. Encore là, ça me permettait de me mettre dans la peau de vraies grandes personnes.

Q : Ce qu'on est à 10 ans, on l'est nécessairement à 30 ans?

R : Ça dépend, je pense que c'est du cas par cas. À mon avis, les gens stupides restent les mêmes et les gens intelligents parviennent à évoluer.

Q : Dix ans, c'est l'âge de tous les possibles. Tu voulais montrer le décalage entre ce dont on rêve et la réalité?

R : Oui. Personnellement, à 10 ans, j'ambitionnais de piloter le Faucon Millenium à la place de Han Solo. Pour une raison ou une autre, ça ne s'est pas produit. Mon plan B était de devenir policier à motocyclette à Los Angeles. Comme pas mal de monde, je me suis finalement rabattu sur mon plan W.

Q : Les romans qui parlent des trentenaires d'aujourd'hui sont souvent des quêtes existentielles lancinantes et spleenesques. Tu avais envie de parler du «vrai» monde, du monde ordinaire?

R : J'ai quand même un personnage de tueur en série dans le lot (parce que ça prend un croquemitaine dans une histoire d'Halloween), mais pour le reste, je tenais à être réaliste et il est impossible que 25 personnes réunies par le hasard connaissent toutes un destin extraordinaire. La plupart des gens sont du monde ordinaire avec une vie de couple plus ou moins satisfaisante, une job un peu chiante et des problèmes banals. Par ailleurs, je ne suis pas très doué pour le lancinant et le spleenesque.

Q : Grand-Mère reste toujours ton terrain de prédilection?

R : Oui, ça me vient naturellement, surtout dans ce cas-ci: je ne voulais pas parler de la petite école en général, je voulais parler de ma petite école. Avoir 10 ans dans une petite ville, ce n'est sûrement pas la même chose qu'avoir 10 ans à Montréal.

Q : Tu as reçu le Prix littéraire de la Ville de Québec pour Document 1. Ça te fait plaisir? Enfin un prix?

R : En fait, une semaine plus tôt, j'avais gagné un trophée au gala de l'Académie de la vie littéraire au tournant du XXIe siècle. Mais oui, le Prix de la Ville de Québec m'a fait plaisir parce que la dame de l'hôtel de ville m'a remis un chèque de 5000$. (Le chèque était bon, en plus...)

Q : Quelle vie souhaites-tu à La classe de madame Valérie?

R : Je voudrais en vendre des camions et recevoir des chèques de redevances aussi gros que ceux de Kim Thuy.

Extrait La classe de madame Valérie

«''Une ronde vaut deux blanches; une blanche vaut deux noires; une noire vaut deux croches; une croche vaut deux doubles-croches.'' Voilà, en vingt mots exactement, tout le programme de cours de musique au primaire. À la fin de la sixième année, plus de trois cents heures auront été consacrées à l'enseignement de ces vingt mots. Pourtant, prenez au hasard un élève fraîchement diplômé et demandez-lui si cela pourrait être un effet de sa bonté que de vous indiquer le nombre de noires contenues dans une ronde, vous verrez alors une lueur d'incompréhension apparaître dans son regard. Pas plus qu'on n'apprend pas un seul mot d'anglais pendant les cours d'anglais, on n'assimile pas l'ombre de la queue de la moindre notion musicale pendant le cours de musique. De là à conclure à l'inutilité de ce dernier, il y a un pas que je me garderai bien de franchir. Car, enfin, si on n'y forme point les Mozart de demain, on y apprend du moins des leçons de vie irremplaçables, dont celle-ci: votre rang dans une hiérarchie ne dépend que très rarement de vos mérites, mais, plus souvent qu'autrement, du bon vouloir et des caprices des gens au-dessus de vous.»