La littérature l'a mené à tout et il n'a jamais voulu en sortir. Depuis plusieurs années, Pierre Samson construit (et déconstruit) une oeuvre exigeante et jubilatoire, dans laquelle l'obsession des mots est reine. Son dernier roman, La maison des pluies, n'y échappe pas, puisque son personnage principal est un linguiste qui devra revisiter à rebours sa vie lorsqu'il apprendra avoir eu un fils d'une liaison passagère. Un roman sur la filiation dans le style Samson, à nul autre pareil.

Nous le rencontrons la veille de son départ pour le Japon. Pierre Samson a vendu tous ses biens et quitte le Québec pour au moins deux ans. Sur la table, l'un des tomes de la série 1Q84 de Murakami et dans son iPhone, un logiciel pour améliorer son japonais.

Fabuleux destin pour cet enfant du quartier Hochelaga-Maisonneuve qui n'a jamais vraiment pu réaliser son rêve d'étudier en littérature. En revanche, il n'a jamais abandonné l'ambition d'être écrivain. «Quelqu'un un jour m'a rappelé qu'à l'école, quand on m'avait demandé ce que je voulais être plus tard, j'avais dit écrivain. Toute la classe avait éclaté de rire.»

Rira bien qui rira le dernier. Pour devenir écrivain, il a lu comme un fou et fait tous les métiers possibles. De barman à scénariste - on lui doit notamment la série Cover Girl. On lui doit surtout des romans inclassables, comme Le messie de Belém, Catastrophes ou Arabesques. «Je ne crois pas au génie mais au travail, dit-il. Et écrire, c'est beaucoup de travail. Je ne suis jamais satisfait. J'écris jusqu'à ce que j'atteigne pour moi un maximum, et c'est toujours un échec. Je dis souvent que lorsque je publie un roman, c'est donner mon plus bel échec possible. Et je recommence.»

Son oeuvre, parfois confidentielle, lui a cependant ouvert beaucoup de portes. Pierre Samson n'est pas du genre à se gêner pour demander des bourses. Cela lui a valu, en 2011, une résidence d'écrivain au Japon qui lui a permis de faire des recherches pour son roman La maison des pluies, notamment sur la langue des Aïnous, menacée de disparition. Une bourse lui permet maintenant de retourner y vivre et y écrire, auprès de son chum - Pierre Samson n'est pas non plus du genre à se cacher dans un placard.

Cette frustration de n'avoir pas pu passer par le circuit universitaire explique sûrement sa haute estime pour la littérature. Sa fière appartenance à la très sélecte maison des Herbes Rouges. Et un goût prononcé pour la prose érudite, truffée de mots savants, ce qu'on lui reproche souvent. D'un autre, cela pourrait être insupportable, mais il y a une telle joie dans l'écriture de Pierre Samson qu'on passe outre. Même qu'on finit par aimer ça. «Pour moi, c'est une démocratisation de la langue! On me reproche d'utiliser des mots obscurs, d'être élitiste, mais on a le droit d'utiliser des mots techniques ou archaïques, on peut tout faire! Ça amène une souplesse dans la parole et la réflexion. Et pour moi, c'est un jeu, c'est ludique, parce que je joue avec le lecteur, comme au ping-pong. Je respecte beaucoup le lecteur. La création, c'est un échange. Une communion.»

Le Petit Poucet

La profession de son personnage principal, Benjamin Paradis, un linguiste, alimente bien sûr ce jeu. Benjamin donne des cours à l'université, parle de ses recherches partout dans le monde pour dénicher des langues en voie de disparition. Occupation étrange dans un Québec où le lien se fait facilement avec le sort de la langue française... Mais la vie de Benjamin bascule lorsqu'il apprend qu'un fils né d'une liaison passagère le cherche. Et sa façon de le chercher est spéciale: le fils visite les personnes importantes dans la vie de son géniteur pour mieux le connaître. Benjamin, qui avait l'intention de «fossiliser l'arbre familial» en ne se reproduisant pas, ne peut résister à cette quête, d'autant plus qu'il est maintenant dans «l'autre versant» de la vie, la quarantaine sérieusement entamée. Comme le Petit Poucet auquel Samson rend hommage, le père suit les traces laissées par son fils, ce qui le force à revisiter un passé qu'il préférait oublier. Benjamin voyait de la vanité dans ce besoin de reproduire ses gènes, mais voilà, il est justement quelqu'un de vaniteux... «En fin de compte, il traverse sa propre forêt, mais par des sentiers oubliés, explique Pierre Samson. En réalité, il va vers lui-même.»

Dans cet orage de mots, une vérité matérielle prend le dessus. La chair triomphe, en quelque sorte. Benjamin s'est fait avoir par une baise fertile. «On a beau vouloir s'évaporer, flotter au-dessus des considérations bassement animales, mais c'est notre base, croit l'écrivain. Le corps, c'est là où on apprend le plus, on reste fondamentalement humain, voire animal, c'est notre essence. Il n'y a pas pour moi moment plus intense que le partage charnel.»

Et Benjamin de découvrir à quel point notre vie, comme notre langue, ne nous appartient pas vraiment. Le garçon de Hochelaga-Maisonneuve se venge-t-il en créant souvent des personnages d'intellectuels qui vont en baver? Peut-être, mais l'homme estime avoir trop d'amour pour son prochain et aimer trop ses personnages. N'empêche, cela lui permet de révéler une chose essentielle: «L'intellect n'est pas une clé pour contrôler tout. Le savoir peut éclairer, mais ce n'est pas un contrôle. La vie est toujours plus forte que toi.»

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La maison des pluies. Pierre Samson. Les Herbes Rouges, 264 pages.