En parlant de son enfance, c'est une partie de l'histoire du Québec que nous raconte Georges-Hébert Germain. Celle des grosses familles d'avant la Révolution tranquille, une époque pas si lointaine qu'il relate avec sa verve habituelle dans Jadis, si je me souviens bien...

«J'ai toujours aimé parler des archétypes, que ce soient les coureurs de bois, Guy Lafleur ou Céline Dion. Les grosses familles, c'est aussi un archétype parce que ça n'existe plus. C'est devenu un concept abstrait que les générations suivantes ne connaissent pas. Chez nous, quand il y avait une chicane, c'était la guerre, avec des clans. Ma fille ne connaîtra jamais ça, elle ne peut pas se chicaner avec elle-même...»

Né en 1944, Georges-Hébert Germain est le deuxième d'une famille de 14 enfants et l'aîné des garçons. Une grande famille, souligne-t-il, c'est un peu comme un continent. Et le lien fraternel, le plus beaux des héritages. «Nous avons eu chacun notre enfance propre, mais aussi une enfance commune coulée dans le ciment. On vient de la même bulle. J'ai développé des liens d'amitié très forts au cours de ma vie, avec des gens que je vois bien plus souvent que mes frères et soeurs. Mais ce n'est pas la même chose.»

C'est d'ailleurs un de ses frères qui lui a donné l'idée de ce livre, lui disant qu'il serait intéressant de documenter l'histoire de leur famille originaire de Portneuf - plus précisément du village des Écureuils, qui n'existe plus. Ça tombait bien: Georges-Hébert Germain était nouvellement grand-père, et il venait d'atteindre l'âge que son père avait lorsqu'il est mort. Tout était en place pour un genre de bilan.

Il raconte donc dans ce récit son enfance insouciante et libre - «Ce qui n'était pas le cas des filles, je m'en suis rendu compte beaucoup plus tard»- de petit garçon choyé et heureux. «Je me suis interrogé sur moi en écrivant. Ce n'est pas possible que ç'ait été si beau, lumineux et idyllique. Sérieusement, j'ai peu de souvenirs de pluie! Et je me vois souvent seul dans la maison avec ma mère - que nous avons tous adorée-, alors que c'est impossible. Il y avait sûrement toujours plein d'enfants autour. Le travail que notre nature fait faire à notre mémoire est très propre à chacun.»

Jadis, si je me souviens bien... fait d'ailleurs une intéressante réflexion sur la mémoire. Chaque chapitre, par exemple, se termine avec une série de post-scriptum dans lesquels Georges-Hébert Germain précise une anecdote ou ajoute la version d'une de ses soeurs et d'un jeune frère, l'air de nous dire: «Ne croyez pas tout ce que j'ai écrit, je me suis peut-être trompé...» «Ç'a été déclenché par le chapitre que j'ai écrit sur Oceala, un chef indien dont j'avais lu l'histoire dans un livre qui a été très important pour moi. Ma mémoire a carrément construit un faux: la mort d'Oceala dont je me souvenais n'a rien à voir avec la vraie qui est décrite dans le livre. Je l'imaginais flamboyante, il recevait une balle en plein coeur en défendant sa terre, alors que, dans les faits, il est mort en prison de tuberculose. Pas mal moins glamour! C'est comme ça que j'ai commencé à réfléchir sur la mémoire, et que j'ai eu envie de faire quelque chose sur l'enfance.»

Tout le long de l'écriture, les souvenirs sont remontés. «C'est comme un fil qu'on tire. Tu commences à raconter un souvenir d'enfance, et tout à coup ça éclaire derrière et devant. C'est comme quand tu fouilles dans un vieux tiroir, tu trouves plein de choses que tu pensais avoir oubliées.»

À 68 ans, Georges-Hébert Germain refuse la nostalgie du «c'était bien mieux dans mon temps» - «Si je pouvais avoir l'âge de Zaza (sa petite-fille de 15 mois), je recommencerais»-, mais il admet qu'il doit apprendre à «devenir vieux». «Vieillir, c'est vivre. Mais réaliser qu'on est moins fort, moins puissant, qu'on a moins d'appétit pour plein de choses, c'est un peu attristant.»

Cette période de l'histoire du Québec qu'il évoque - «C'est un livre personnel, mais j'espère que les gens le verront aussi comme un document historique» -, il est content de l'avoir traversée et de pouvoir en témoigner. «C'est le privilège de vieillir. On peut se dire «wow, je suis passé à travers ça». C'est comme quand tu pars en randonnée et que tu regardes sur une carte le chemin que tu as fait.»

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Jadis, si je me souviens bien... Georges-Hébert Germain. Libre Expression, 265 pages.

Extrait Jadis, si je me souviens bien...

«Quand je vois une nichée d'oisillons ou une portée de petits cochons lovés contre leur mère, il m'arrive de penser à la famille que nous formions dans ces moments, doux cocon, chaud paquet, agglutinés devant la télé, papa, maman et les plus vieux assis côte à côte sur le divan ou occupant un fauteuil à trois, voire à quatre. Les autres assis ou couchés par terre. Par moments, j'en suis sûr, nous n'avions qu'une seule et même âme, le même sang dans nos veines, le même air enfumé dans nos poumons.»